Agriculture urbaine et péri-urbaine : prendre en compte leurs différences dans les politiques alimentaires territoriales

Jardins partagés, ouvriers, fermes urbaines proposant des activités pédagogiques, production horticole à la périphérie des villes… Quand on évoque la production alimentaire en ville, de nombreuses images viennent en tête : l’agriculture urbaine et péri-urbaine peut en effet être très diverse.

Dans le cadre d’un projet de recherche sur le potentiel d’innovation de l’agriculture dans les villes, une équipe de recherche allemande menée par Ina Opitz s’est rendue compte que personne n’avait pris le temps de regarder, dans les analyses scientifiques existantes, les grandes différences entre l’agriculture du cœur des villes et celle à sa périphérie dans les pays du Nord. L’article qu’ils ont publié en 2015 dans Agriculture and Human Values fournit une cartographie intéressante de ces différences, et rappelle aux villes l’importance de prendre en compte cette diversité dans leurs politiques alimentaires.

kaboompics_Early spring garden

L’agriculture de la périphérie : des entreprises confrontées à l’étalement urbain

L’agriculture péri-urbaine, à la périphérie des villes, est généralement localisée sur des sites de grande taille (jusqu’à 100 hectares). Elle occupe de la terre agricole, protégée par les règles d’aménagement du territoire. Cependant, elle est menacée par l’étalement urbain.

En général, les agriculteurs péri-urbains sont des professionnels, formés à l’agriculture. Ils ont pour objectif de générer un revenu avec leurs activités. S’ils choisissent de se diversifier pour intégrer des activités pédagogiques ou de loisir, ils cherchent avant tout à gagner leur vie. Ces agriculteurs utilisent une large palette de canaux de distribution (locaux comme internationaux), et ils arbitrent entre ces canaux sur la base de leur rentabilité économique.

En quelques mots, les défis des agriculteurs péri-urbains sont ainsi ceux d’entreprises qui risquent de perdre une ressource clé de leur activité : la terre. Les villes doivent alors chercher à sanctuariser la terre agricole et lutter contre l’étalement urbain. Même si les décideurs urbains sont peu familiers des problématiques de l’agriculture, ils doivent intégrer cette activité dans leurs réflexions et leurs politiques de développement local.

L’agriculture au cœur des villes : trouver sa place dans le tissu urbain

Pour sa part, l’agriculture urbaine (jardins partagés, ouvriers, potagers, sur les toits, fermes urbaines…) est une activité du cœur des villes. Elle est localisée sur des parcelles de taille plus modeste, et sur une terre qui n’est généralement pas protégée par les plans d’urbanisme (et même parfois occupée illégalement). Seules quelques villes dans le monde (comme, par exemple, Brighton and Hove, au Royaume-Uni) ont mis en place un cadre juridique pour protéger cette activité.

L’agriculture urbaine est confrontée à de nombreux défis qui lui sont spécifiques : pollution des sols (qui oblige à adapter les techniques de culture), ou encore manque d’accès à certains nutriments (qui rend stratégique le fait de faire ou de récupérer du compost). Des techniques spécifiques comme l’hydroponie ou l’aquaponie sont développées pour répondre au manque d’espace ou à la culture hors-sol.

Le profil et les motivations des agriculteurs urbains sont également assez différentes de ceux de leurs homologues péri-urbains. Par exemple, ils n’ont pas nécessairement de formation agricole. Au-delà de la production de nourriture en elle-même, ils recherchent une palette de bénéfices (éducation, lien social…). Les agriculteurs urbains sont généralement impliqués dans des circuits locaux de distribution (autoconsommation, vente directe, dons à l’aide alimentaire ou à des associations). Cependant, on constate une évolution vers des formes d’agriculture urbaine plus orientées vers la recherche de profit.

Pour résumer, les défis de l’agriculture urbaine sont ainsi ceux d’un nouveau venu dans la ville qui doit innover à la fois techniquement et socialement pour trouver sa place dans le tissu urbain. Pour cette raison, les politiques doivent encourager l’innovation et la participation tout en créant le cadre juridique qui assurera la permanence de ces activités dans la ville. Les politiques peuvent également encourager les entrepreneurs à se lancer dans l’agriculture urbaine, pour sortir du seul volontariat.

Soutenir toutes les formes de production alimentaire… mais différemment

Les implications de cette analyse en termes d’action politique sont multiples. Tout d’abord, cet article nous rappelle la nécessité de reconnaître et saisir cette diversité. Toutes les formes de production alimentaire ont quelque chose à apporter à la ville.

Ensuite, et même si toutes les formes de production alimentaire se recoupent dans une certaine mesure, cet article rappelle aux villes qu’il est important de prendre le temps de connaître cette diversité pour que les politiques répondent bien aux besoins des agriculteurs urbains. Par exemple, protéger l’agriculture péri-urbaine implique de préserver la terre agricole alors que protéger l’agriculture urbaine implique de mettre en place un cadre juridique totalement nouveau.

Pour saisir cette diversité, les villes devront regarder au-delà de leurs frontières administratives. D’après Regine Berges et Ingo Zasada, deux des membres de l’équipe de recherche, les politiques alimentaires seront d’autant plus efficaces qu’elles parviennent à définir un cap pour une région urbaine dans son ensemble. La coopération entre collectivités sera donc une des clés du succès.

Et enfin, les chercheurs rappellent que la préservation et l’appui au développement de l’agriculture dans et autour des villes n’est pas seulement de la responsabilité des autorités locales. Les politiques nationales ont également un rôle à jouer en envoyant des signaux de long terme, par exemple, sur l’importance de préserver la terre qui nourrit les villes.


Source: Opitz, I., Berges, R., Piorr, A., Krikser,T. (2015), Contributing to food security in urban areas: differences between urban agriculture and peri-urban agriculture in the Global North, Agriculture and Human Values, vol. 33(2), pp.341-358

N.B. : l’auteure remercie Regine Berges et Ingo Zasada pour leur relecture et conseils.

Source image : Early spring garden, kaboompics

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