Dans de nombreuses villes du monde, les mouvements citoyens appelant de leurs vœux une alimentation plus locale ont joué un rôle important dans la prise de conscience des limites de notre système alimentaire.
Cependant, l’alimentation locale est-elle meilleure que l’alimentation globalisée ?
C’est la question à laquelle s’est attelé le projet de recherche européen GLAMUR. « Ce qui était au départ une question simple s’est révélé plus complexe que prévu », se rappelle Gianluca Brunori, le coordinateur du projet basé à l’université de Pise (Italie).
En un mot : les choses ne sont pas si tranchées. Par conséquent, les villes devraient chercher à amener tous les acteurs – les représentants de l’alimentation locale comme les plus conventionnels – sur le chemin de la durabilité.
L’alimentation locale, c’est quoi, en fait ?
Les chercheurs ont analysé 39 chaînes d’approvisionnement dans différents pays européens (depuis des asperges produites et consommés en Belgique, jusqu’à des produits d’Europe (pommes d’Espagnes, fruits rouges de Serbie) exportés).
Leur premier défi a été de classer ces chaînes d’approvisionnement en « locales » ou « globales ». Cela n’a pas été aussi simple que prévu. Par exemple, dans quelle catégorie mettre un fromage régional issu du lait de vaches nourries avec des céréales venant de l’autre bout du monde ?
Leur conclusion est qu’au lieu d’avoir une différence claire entre des chaînes d’approvisionnement « vraiment locales » et « vraiment globales », la réalité est plutôt un continuum entre ces deux pôles.
Dépasser le seul critère du nombre de kilomètres parcourus
Le nombre de kilomètres parcourus par les aliments avant qu’ils n’arrivent dans notre assiette a été l’objet de beaucoup d’attention ces dernières années. En effet, il semble évident que d’un point de vue environnemental, il faut privilégier les aliments produits localement.
Cependant, les chercheurs ont trouvé que, globalement, les chaînes mondialisées ont tendance à être plus efficientes en énergie et en ressource par unité de produit. Cela est du à des économies d’échelle. Par exemple, transporter le vin en vrac par train requiert moins d’énergie (par litre) que de le transporter par bouteilles en voiture.
Cependant, les choses ne sont pas aussi univoques. Les chercheurs ont en effet également trouvé des contre-exemples où les chaînes locales étaient plus performantes sur le plan environnemental. Par exemple, le circuit court d’approvisionnement en porc qu’ils ont étudié aux Pays-Bas était plus efficient que la chaîne globalisée. La chaîne locale utilisait des résidus issus de l’industrie alimentaire de la région pour nourrir les porcs, quand la chaîne globalisée (qui produisait le porc aux Pays-Bas, puis l’exportait) utilisait du soja d’Amérique latine et du tapioca de Thaïlande.
Conclusion : la performance environnementale dépend beaucoup des caractéristiques propres à chaque chaîne d’approvisionnement. Il est donc nécessaire de faire des évaluations pour chaque chaîne, et il n’est pas possible de s’appuyer sur des hypothèses générales.
La durabilité, c’est complexe
Le débat autour des kilomètres parcourus par l’alimentation est un bon exemple de la façon dont simplifier un problème peut mener à des solutions peu adaptées. Cependant, la complexité du problème ne s’arrête pas là. En effet, la durabilité d’une chaîne alimentaire ne se réduit pas à l’énergie utilisée pendant le transport. Elle couvre des enjeux très divers : la sécurité alimentaire, l’accessibilité financière, l’utilisation des ressources naturelles, l’hygiène alimentaire, le bien-être animal… Pour répondre à cette complexité, les chercheurs ont mis au point une méthode d’évaluation qui rassemble des données quantitatives et qualitatives sur 24 dimensions considérées comme importantes par les acteurs de l’alimentation interrogés pendant le projet.
24 dimensions de la durabilité des systèmes alimentaires
Economique |
Social |
Environnemental |
Sanitaire | Ethique |
accessibilité financière
création & distribution de la valeur ajoutée |
sécurité alimentaire
comportement du consommateur |
utilisation des ressources pollution biodiversité innovation technologique gaspillage alimentaire |
nutrition
hygiène et sécurité |
bien-être animal responsabilité commerce équitable information et communication gouvernance |
Source: Brunori et al, 2016
Ici aussi, les chercheurs ont trouvé qu’il « est impossible d’établir une supériorité claire » des chaînes d’approvisionnement locales par rapport aux globales, et vice versa. Par exemple, les relations de travail peuvent être plus informelles dans les chaînes locales, ce qui peut induire une protection sociale moindre pour les travailleurs. Pour les zones rurales isolées, les chaines globales créent plus de valeur car elles permettent d’atteindre des bassins de consommation plus larges. Et ainsi de suite.
Ce que les chercheurs ont mis en lumière, cependant, c’est que le degré de coordination et de confiance entre les acteurs joue un rôle majeur dans la capacité d’une chaîne alimentaire à évoluer vers plus de durabilité. Si les acteurs se connaissent et se font confiance, il sera plus facile pour eux de se coordonner. Au contraire, quand les produits alimentaires sont échangés sur des marchés au comptant, les acteurs ont très peu de relation entre eux, et ne disposent ni du temps ni des règles qui leur permettent de se coordonner pour travailler ensemble à une meilleure durabilité.
Travailler avec tous les acteurs
Ces résultats ouvrent des perspectives en terme de politique alimentaire pour les villes :
- Tout d’abord, celles-ci devraient chercher à travailler aussi bien avec les acteurs des chaînes locales que ceux des chaînes globales, car toutes présentent des marges d’amélioration en terme de durabilité. Les villes ne peuvent donc pas partir du principe que le local est toujours, sur tous les aspects, meilleur que le global. Elles doivent aussi aider les chaînes locales à innover. Reconnaître que tout le monde doit faire des efforts est peut-être de nature à encourager les acteurs plus conventionnels à participer aux instances de politique alimentaire urbaines…
- Par ailleurs, les villes pourraient mieux explorer les synergies entre les chaînes locales et globales. D’un côté, par exemple, les chaînes locales peuvent jouer le rôle de niches d’innovation pour les acteurs plus conventionnels. Elles jouent un rôle crucial d’aiguillon dans le système, en proposant des formes innovantes de production et de consommation et en poussant tous les acteurs à se remettre en cause. Cela est important pour les politiques alimentaires urbaines. D’un autre côté, les acteurs conventionnels peuvent intégrer les acteurs locaux dans leurs infrastructures. Par exemple, en Italie, Gianluca Brunori cite l’exemple de chaînes de supermarchés développant des plateformes logistiques qui accueillent des produits locaux. Elles répondent ainsi à un besoin des acteurs locaux encore non satisfait, tout évitant de dupliquer les infrastructures.
Pour aller plus loin, les villes peuvent jouer un rôle fondamental en stimulant les échanges entre des acteurs du système alimentaire qui ont une vision très différente de la performance dans les chaînes alimentaires. Impacts environnementaux, accessibilité financière, gestion des risques sanitaires, droit du travail, résilience, bien-être animal… tous ces aspects devraient pouvoir être discutés. Ce dialogue permettrait aux acteurs de dépasser des points de vue parfois simplistes de « ce qui est bon » et de « ce qui n’est pas bon », et d’anticiper l’ensemble des conséquences de leurs actions. En d’autres termes, les collectivités locales ont un rôle majeur à jouer dans la prise de conscience par les acteurs de la complexité des systèmes alimentaires.
Albane GASPARD – Septembre 2017
NB : l’auteure remercie Gianluca Brunori pour sa relecture et ses conseils.
Sources:
- Article académique en accès libre
- Rapport public
- Autres articles académiques
Crédits photo : Pixabay
2 Replies to “Travailler avec les circuits courts, mais pas seulement !”