La planète s’urbanise à un rythme effréné, et bien souvent aux dépends de la terre agricole. Étant donné que cette terre est abondante et que les villes n’en grignotent qu’une fraction, est-ce vraiment un problème ? Une équipe de recherche du Mercator Research Institute on Global Commons and Climate Change de Berlin (Allemagne) s’est penchée sur la question. Leur recherche révèle l’ampleur du phénomène : jusqu’à 4% de la production alimentaire mondiale pourrait être menacée par l’urbanisation. Chaque ville doit se sentir concernée par ce sujet, qui devrait figurer en bonne place parmi les sujets de coopération entre villes à l’échelle mondiale.
L’urbanisation va se déployer sur les terres agricoles les plus fertiles
Pour estimer les endroits où les villes allaient s’étendre, les chercheurs ont combiné, dans une analyse spatiale, des bases de données sur les terres agricoles et des scénarios d’urbanisation. Ils ont mis en évidence que l’urbanisation pourrait mener à une perte de jusqu’à 3% des terres agricoles mondiales. Cela correspondrait à 4% de perte de la production alimentaire mondiale (à son niveau de 2000), soit 4% de la production mondiale de maïs, 9% de celle de riz, 2% de celle de soja et 7% de celle de blé. Les chercheurs n’ont pas intégré dans leur analyse les impacts potentiels du changement climatique sur cette production, ni les changements à venir de la demande alimentaire dus à l’urbanisation (les populations urbaines ont par exemple tendance à manger plus de produits carnés qui nécessitent plus de terres). Leurs résultats peuvent donc être considérés comme une estimation basse des défis à venir.
L’urbanisation touchera les zones les plus fertiles car les villes ont historiquement eu tendance à s’installer à côté de terres de bonne qualité afin d’assurer leur sécurité alimentaire. Par exemple, en Afrique, seulement 3% des terres seront perdues, mais cela correspond à 9% de perte de production. Pour un pays comme le Nigéria, une perte de 6% des terres arables se traduira en une perte de 12% de la production.
L’Asie et l’Afrique seront les plus touchées, mais toutes les villes devraient se sentir concernées
L’Asie et l’Afrique seront les continents les plus touchés. Ils représentent plus de 80% de la perte de production attendue. Par exemple, l’urbanisation autour de Shanghai devrait engloutir les terres qui à l’heure actuelle produisent presque la moitié du riz et du blé du Delta du fleuve Yangtzi, ce qui aura un impact considérable sur l’approvisionnement alimentaire de la ville.
Ces pertes nous concernent tous. En effet, la façon dont ces pays géreront la situation aura des répercussions à l’échelle mondiale. L’intensification de la production (i.e. produire plus sur les surfaces restantes) ne sera possible que dans une certaine mesure. Le défrichage de nouvelles terres est une autre option, mais il est probable que celles-ci soient moins fertiles que les terres perdues. Par conséquent, il est probable que la compétition mondiale autour des terres arables s’accentue.
Les politiques publiques peinent à contenir l’expansion urbaine : les villes pourraient-elles travailler ensemble sur le sujet ?
Étant donné l’ampleur du défi, que font les villes ? Les politiques actuelles, malheureusement, peinent à contenir l’artificialisation des terres agricoles. De fait, la croissance des surfaces urbaines est plus importante que celle des populations urbaines.
Il faut donc agir plus. Toutes les villes du monde peuvent jouer un rôle. Par exemple, en identifiant et en protégeant les terres les plus fertiles dans leur aire d’influence, ou en encourageant le développement de formes urbaines moins consommatrices de terres (villes plus denses, ou suivant les infrastructures de transport, notamment).
La gouvernance des métropoles devrait également être améliorée pour s’assurer que les frontières administratives et fonctionnelles de la ville coïncident. C’est rarement le cas dans les méga régions urbaines qui rassemblent plusieurs villes, chacune développant ses propres politiques sans grande concertation avec ses voisines. Ces défis liés à la gouvernance sont aussi prégnants au Nord qu’au Sud.
Par conséquent, on ne peut que souhaiter que la lutte contre l’artificialisation des terres agricoles devienne un axe majeur de la coopération et de l’échange de bonnes pratiques entre les villes.
Albane GASPARD – Octobre 2017
NB: l’auteure remercie Felix Creutzig pour sa relecture et ses conseils
Crédits photos: Pixabay
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