L’agriculture urbaine est à la mode dans les pays industrialisés et bénéficie d’une image assez positive en termes d’impact social. Mais qu’en est-il vraiment ? Des chercheuses de la Portland State University et de l’Université du Michigan ont passé en revue les publications scientifiques sur le sujet aux États-Unis et au Canada afin de cartographier les liens entre agriculture urbaine et justice alimentaire.
La justice alimentaire est un concept né aux États-Unis et qui se définit comme le droit de tous les groupes sociaux à produire, transformer, distribuer, et accéder à une alimentation de qualité, indépendamment de leur appartenance ethnique, de classe, de genre, de citoyenneté, de religion ou de communauté.
Leur travail montre que les travaux scientifiques sur la question laissent encore beaucoup de questions en suspens, et qu’au vu de la diversité de l’agriculture urbaine, il est difficile de tirer des conclusions générales. Il permet cependant de mettre en lumière deux axes d’action pour les villes : la protection de l’agriculture urbaine, et son utilisation comme moyen d’émancipation.
Dans quelle mesure l’agriculture urbaine bénéficie-t-elle aux ménages les plus défavorisés ?
En un mot, pour que l’agriculture urbaine puisse contribuer positivement à la vie des personnes les plus défavorisées, elle doit s’inscrire dans un ensemble de mesures qui leur permette d’accéder à la terre et de trouver le temps de la cultiver. En d’autres termes, l’agriculture urbaine n’est pas la solution miracle.
D’un côté, elle peut améliorer l’accès à une alimentation de qualité, et donc, la sécurité alimentaire des plus défavorisés. Par exemple, un cas d’étude à Seattle (Etats-Unis) a montré que les participants des jardins communautaires produisent en général jusqu’à 40% des aliments frais dont ils ont besoin, faisant ainsi des économies. Jardiner a aussi des bénéfices pour la santé, car cela permet d’accéder à une alimentation fraiche et de qualité, réduit le stress, augmente le bien-être et peut même être considéré comme une forme d’exercice physique.
D’un autre côté, cependant, la littérature scientifique souligne l’existence de facteurs qui peuvent limiter ces bénéfices. Par exemple, le fait que faire pousser son alimentation nécessite d’avoir accès à la terre, d’avoir le temps et de savoir jardiner. Or, cela n’est pas donné à tout le monde. Par ailleurs, il n’est pas certain que les bénéfices sur la santé de l’agriculture urbaine puissent contrebalancer les facteurs structurels (comme, par exemple, les inégalités de revenus) qui jouent un rôle majeur dans les différences d’états de santé entre les groupes sociaux.
Qu’apporte l’agriculture urbaine aux groupes sociaux défavorisés ?
Si on regarde l’impact de l’agriculture urbaine sur les groupes sociaux défavorisés et non plus sur les seuls ménages qui les composent, que peut-on dire sur les impacts de l’agriculture urbaine ? Là encore, le corpus scientifique met en évidence deux facettes.
D’un côté, des résultats de recherche montrent un lien positif entre l’existence de projets d’agriculture urbaine et des bénéfices pour la communauté (baisse de la criminalité, augmentation du taux de vote). Par ailleurs, certaines initiatives montrent que l’agriculture urbaine peut être une stratégie pertinente de développement pour les quartiers défavorisés. En témoigne, par exemple, l’action du Growing Power project, à Milwaukee et Chicago (USA). Cette organisation emploie des membres de la communauté locale pour produire des fruits et légumes. Cependant, de telles initiatives sont rares, et les fermes urbaines ont généralement des difficultés à générer un revenu stable, ce qui rend difficile pour elles la création d’emplois stables et bien payés.
D’un autre côté, cependant, certaines analysent mettre en garde contre le risque de gentrification associé aux projets d’agriculture urbaine qui attirent des ménages jeunes et aux revenus confortables dans des quartiers défavorisés.
Pour que l’agriculture urbaine contribue à la justice alimentaire, elle doit être protégée
On le voit, la littérature scientifique produit donc une image contrastée des liens entre agriculture urbaine et justice alimentaire. Pour aller plus loin, les chercheuses se sont demandé comment renforcer les impacts positifs de cette activité. Pour elles, un point crucial est qu’on ne peut pas attendre de l’agriculture urbaine qu’elle joue un rôle plus important dans la justice alimentaire si on ne met pas en œuvre avant des mesures pour la protéger.
De fait, l’agriculture urbaine est une activité fragile. Un grand nombre de jardins n’ont pas de bail sûr, et, d’une manière générale, ils ne sont les bienvenus dans la ville qu’en attendant que d’autres projets soient développés sur les parcelles qu’ils occupent. Des projets ayant des impacts positifs importants (comme par exemple des fermes urbaines) peuvent disparaître en l’espace de quelques semaines.
La planification urbaine devrait par conséquent assurer la sécurité de cette activité, par exemple en protégeant des parcelles dans les quartiers les plus défavorisés. La ville de Seattle (États-Unis) a par exemple mis à disposition des parcelles publiques à cet effet.
L’agriculture urbaine, tremplin pour l’émancipation ?
Deuxième axe d’action : l’émancipation. En effet, si l’agriculture urbaine ne peut pas à elle seule faire tomber toutes les causes structurelles de l’insécurité alimentaire en ville, elle peut cependant y contribuer si elle est utilisée comme tremplin pour la capacitation des groupes sociaux défavorisés.
Il y a en effet une barrière structurelle que les villes peuvent aider à lever via leur appui à l’agriculture urbaine : l’absence de voix au chapitre des populations défavorisées. Les villes peuvent faire en sorte que les organisations qui luttent pour une plus grande justice alimentaire puissent participer à l’élaboration de la politique d’agriculture urbaine, par exemple au sein d’un conseil d’orientation de cette politique. Ainsi, plus de ressources pourraient être allouées à ceux qui ont moins. Et des dispositifs d’appui à l’agriculture urbaine qui favorisent les propriétaires de la terre (comme les abattements d’impôts pratiqués aux États-Unis pour les inciter à mettre leurs parcelles à disposition) seraient regardés sous un jour nouveau. La ville de Seattle a mis au point une méthodologie de balayage systématique de ses actions alimentaires pour mieux comprendre qui bénéficie des ressources investies.
Par conséquent, même si l’agriculture urbaine ne peut pas, d’elle-même, résoudre l’équation de la justice alimentaire, elle a tout de même un rôle à jouer pour un futur plus juste.
Février 2018
L’auteure remercie Megan Horst pour sa relecture et ses conseils
Crédit photo : Pixabay