Quelle autonomie alimentaire des régions urbaines ?

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Les appels à la relocalisation de l’alimentation reposent peu souvent sur une analyse robuste et quantifiée de leur faisabilité. C’est ce qui a conduit deux équipes de recherche à se poser la question suivante : est-il possible pour une région urbaine de se nourrir seulement de la production des terres environnantes ?

Les deux articles académiques issus de leurs travaux apportent des éléments de réponse quantifiés. Le premier a été écrit par une équipe du Leibniz Centre for Agricultural Landscape Research (ZALF) dans le cadre du projet européen FOODMETRES. Il analyse les cas de Londres, Milan, Rotterdam et Berlin. Le second, publié dans Ernährungs Umschau, se concentre sur Berlin. Leurs méthodologies peuvent être utilisées par n’importe quelle ville qui souhaite connaître son niveau d’autonomie alimentaire actuel, et la façon dont celui-ci pourrait évoluer en fonction de différentes politiques mises en œuvre.

Calculer la demande alimentaire urbaine et la comparer aux terres disponibles

Les deux articles reposent sur une logique simple :

  • Tout d’abord, ils calculent la demande alimentaire par personne issue de l’aire urbaine. Pour cela, ils prennent en compte à la fois l’alimentation consommée et celle gaspillée à toutes les étapes de la chaine alimentaire.
  • Ensuite, ils analysent les données sur les terres arables disponibles dans la région urbaine.
  • Enfin, ils divisent la terre disponible par celle nécessaire pour répondre à la demande, pour un produit particulier, ou pour l’ensemble des produits consommés par la ville. Si le ratio est égal à 1, l’offre et la demande de terres se rencontrent parfaitement. Mais, dans la plupart des cas, le ratio n’est pas égal à 1. Lorsqu’il est inférieur à 1, la région urbaine n’est pas autonome.

D’après l’étude FOODMETRES, ni Londres, ni Milan, ni Rotterdam ne sont actuellement autonomes d’un point de vue alimentaire. Par exemple, une aire urbaine comme celle de Londres requiert 42 000 km2 de terres arables, mais ne dispose, dans sa région environnante, que de 26 500 km2.

La région urbaine de Berlin-Brandenburg, en revanche, montre un bon niveau d’autonomie alimentaire potentielle. La morphologie de cette région est assez différente de celle des autres étudiées : elle a un centre urbain important entouré d’un tissu de villes plus petites et de terres agricoles, ce qui rend possible la production alimentaire. L’équipe qui a travaillé sur la seule ville de Berlin est allée encore plus loin, en analysant le niveau d’autonomie alimentaire produit par produit. En faisant cela, ils arrivent à des résultats un peu moins optimistes : le niveau d’autonomie pour les légumes, par exemple, est de seulement 22%.

L’autonomie alimentaire est-elle un objectif atteignable ?

L’équipe de FOODMETRES s’est ensuite demandé si l’autonomie alimentaire était un objectif atteignable. Pour cela, ils ont imaginé des scénarios qui représentent autant de mesures de politiques publiques potentielles : la conversion à l’agriculture biologique, une modification des régimes alimentaires ou une réduction du gaspillage alimentaire. Ils ont également introduit dans leurs scénarios une estimation de la demande alimentaire en 2050 si la population urbaine continue à croître comme le prévoient les projections existantes.

Avant toute chose, il faut reconnaître qu’il y aura toujours une part de l’alimentation qui ne pourra pas être produite localement. Sauf si, bien sûr, les citadins sont prêts à se passer de café ou de chocolat… Dans un sens, une autonomie alimentaire totale n’est donc ni atteignable, ni même désirable.

Si on exclut les produits exotiques, quels seraient les scénarios qui permettraient d’assurer l’autonomie ?

L’analyse montre qu’aucune des mesures politiques analysées, même poussées à l’extrême, ne permettraient à des villes comme Londres, Milan ou Rotterdam de devenir autonomes. Par exemple, éradiquer totalement le gaspillage alimentaire à Londres permettrait de réduire la demande en terres arables de « seulement » 24%, alors qu’à l’heure actuelle, elle excède l’offre d’environ 60%. Une conversion totale à l’agriculture biologique contribuerait à augmenter la demande en terres, mais, combinée à une action volontariste contre le gaspillage alimentaire, cela permettrait de stabiliser la demande en terres.

Les résultats montrent également de façon très claire que les objectifs d’autonomie alimentaire sont en contradiction avec les projections de croissance de population urbaine… En effet, pour reprendre l’exemple de Londres, l’accroissement prévu de la population augmenterait de 13 000 km2 la demande en terres. Cela soulève la question des tensions potentielles entre des politiques urbaines en faveur d’une plus grande alimentation locale et d’autres poussant au développement de logements. C’est néanmoins consistant avec le fait qu’historiquement, les villes ont toujours essayé de diversifier leur approvisionnement alimentaire afin de se libérer des terres environnantes.

Enfin, pour Milan et Rotterdam, la recherche met en évidence un phénomène potentiel de concurrence : le fait que rechercher l’autonomie alimentaire poserait un problème dans la mesure où les terres nécessaires pour nourrir ces villes se trouveraient proches d’autres villes, qui pourraient également en avoir besoin.

Introduire du réalisme dans ses objectifs grâce à la modélisation

D’après Susanna Esther Hönle et Ingo Zasada, auteurs principaux des articles, les modèles utilisés pour ces recherches peuvent encore être grandement améliorés. Par exemple, il serait intéressant de regarder si les terres arables considérées comme disponibles le sont réellement. Ou d’introduire des hypothèses sur l’impact du changement climatique. Ou encore, sur la disponibilité de ressources cruciales à la production alimentaire telles que l’eau.

Cependant, malgré leurs limites actuelles, ces modèles peuvent d’ores et déjà être utilisés par les villes pour introduire du réalisme dans leurs objectifs de politiques publiques. Ils permettent également de comparer l’impact de différentes mesures possibles (lutte contre le gaspillage alimentaire, évolution des régimes alimentaires…). Et, par-dessus tout, ces modèles obligent les villes à analyser en même temps la demande et l’offre alimentaire, afin d’assurer la durabilité du système alimentaire dans son ensemble.


Albane GASPARD – Mars 2018

L’auteure remercie Susanna Esther Hönle et Ingo Zasada pour leur relecture et leur conseils

Sources:

Hönle S, Meier T, Christen O (2017) Land use and regional supply capacities of urban food patterns: Berlin as an example. Ernährungs Umschau 64(1):11-19

Zasada, I., Schmutz, U., Wascher, D., Kneafsey, M., Corsi, S., Mazzocchi, C., … & Piorr, A. (2017). Food beyond the city–Analysing foodsheds and self-sufficiency for different food system scenarios in European metropolitan regions. City, Culture and Society.

Crédit photo : Pixabay

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