L’alimentation locale, bonne pour l’économie ? De l’intérêt de regarder tous les aspects de la question

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Une des motivations des partisans d’une alimentation locale est le développement économique local, la création ou le maintien d’emplois et la viabilité des exploitations agricoles du territoire. Mais l’alimentation locale est-elle bonne pour l’économie ?

C’est la question que posent deux articles académiques publiés en 2017 par des chercheurs de l’Université d’Idaho (Etats-Unis). Ils présentent une méthodologie de calcul de la contribution économique des systèmes alimentaires locaux, et interpellent sur la nécessité de dépasser les analyses rapides trop souvent faites dans ce domaine. Par ailleurs, ils démontrent que les tenants de l’alimentation locale devraient concentrer leurs efforts sur le fait d’identifier et de quantifier les externalités associées aux systèmes alimentaires locaux plutôt que d’essayer de calculer leur impact économique global.

Au-delà des seuls chiffres de vente des circuits courts

Comment mesurer l’impact économique d’un système alimentaire local ? « Prenons le montant que les ménages dépensent dans les circuits courts et calculons le nombre d’emplois associés », pensez-vous.

Et bien, c’est un peu plus compliqué que ça… Seulement regarder les dépenses des ménages, c’est ne regarder qu’une partie de la question. En effet, une grande partie de la valeur ajoutée liée à la chaine alimentaire se crée dans les échanges entre les producteurs et les transformateurs, qu’il faut donc aussi inclure dans l’analyse.

La méthodologie développée par les chercheurs englobe toutes les activités qui composent une économie sur un territoire donné (non seulement ce que les échanges effectués par les ménages, mais également ceux des exploitants agricoles, des industries agro-alimentaires, etc…) Elle regarde ce que ces acteurs achètent, à qui ils l’achètent, et où leurs fournisseurs sont localisés, ainsi qu’à qui ils vendent (et ou leurs acheteurs sont localisés, que ce soit sur le territoire ou non). Ces données constituent un tableau entrées-sorties, qui présente tous les flux économiques entrants et sortant d’un territoire donné, ainsi que tous les flux entre les acteurs de ce territoire. Avec de telles données, il est plus facile de se faire une idée de l’ensemble des activités qui constituent le système alimentaire local.

La méthodologie pose alors la question : « que se passerait-il si les activités alimentaires locales n’existaient pas ? », et elle calcule la taille de ce vide ainsi créé. Comment ? En retirant du tableau entrées-sorties toutes les activités qui composent le système alimentaire local, que ce soient les achats des ménages auprès des producteurs locaux, les achats de l’industrie agroalimentaire après de ces mêmes producteurs, mais également les ventes de ces producteurs ou de l’industrie agroalimentaire en dehors du territoire.

En comparant la situation actuelle avec celle, hypothétique, où le système alimentaire local n’existe pas, vous obtenez sa contribution à l’économie.

Un point de départ clair, des objectifs réalistes

Cette méthodologie est très pratique car elle permet aux politiques alimentaires locales d’avoir un point de départ qui leur servira à suivre l’impact économique de leur action.

N’importe quel territoire disposant de données entrées-sorties peut mener une telle analyse. Ce sont celles qui sont utilisées pour le calcul du PIB, elles sont donc assez disponibles et de bonne qualité dans les pays développés. Il est plus pertinent d’appliquer l’analyse à l’échelle d’une région plutôt que d’une ville, car les villes ne sont généralement pas assez grandes pour être, à elles-seules, un bassin d’emploi, et donc une unité d’analyse économique.

Il faut garder en tête, cependant, que produire un chiffre de qualité demande un gros travail. Mais cela vaut la peine pour pouvoir fixer des objectifs de développement des systèmes alimentaires locaux qui soient réalistes. Et donc, ne pas faire des promesses impossibles à tenir.

Aux Etats-Unis, le Département de l’Agriculture et l’Université du Colorado ont développé une boite à outils pour comprendre le potentiel économique des systèmes alimentaires locaux et régionaux. Elle permet d’obtenir un bon ordre de grandeur des impacts attendus.

Qui sont les gagnants et les perdants ?

En forçant les décideurs à se poser la question de « ce qu’il se passerait si… », la méthodologie présentée dans ces articles fournit des pistes de réflexion pour la transition alimentaire.

En effet, trop souvent, les analyses qui cherchent à calculer les impacts économiques de l’alimentation locale ne prennent pas en compte la situation contrefactuelle : si les acteurs (ménages, industriels…) commencent à dépenser plus d’argent dans les circuits alimentaires locaux, cela veut dire qu’ils en dépenseront moins ailleurs. Cette baisse de l’activité a également des effets économiques. Par exemple, cela pourrait vouloir dire que les agriculteurs locaux arrêteraient de vendre à d’autres régions, et que ces régions devraient se mettre à produire l’alimentation manquante, dans des climats peut-être moins adéquats, ce qui augmenteraient les coûts globaux de production de l’alimentation. Ou cela diminueraient le nombre d’emplois occupés par des locaux dans le système alimentaire « conventionnel ».

La question « que se passerait-il si… » permet donc de passer en revue les impacts que le développement des systèmes alimentaires locaux auraient sur l’économie en général, mais également sur l’économie locale elle-même. Elle permet de comprendre qui gagnerait et qui perdrait dans une transition vers des systèmes alimentaires locaux, et donc, d’imaginer des chemins de transition.

Quand l’alimentation locale cherche dans l’économie ce qu’elle ne peut pas lui donner…

La théorie économique classique postule que le commerce est une bonne chose car il permet à des régions d’échanger des biens et de se concentrer sur ce qu’elles produisent le mieux (ce que les économistes appellent « l’avantage comparatif »). Elle voit donc dans le commerce un moyen efficace d’allouer les ressources disponibles. Moins de commerce veut alors dire une baisse de l’efficacité générale, et donc, du bien-être global.

C’est la raison pour laquelle les actions en faveur de l’alimentation locale ont du mal à trouver leur place dans la théorie économique classique. En effet, de telles actions y sont qualifiées de stratégie de substitution des importations. En d’autres termes : au lieu d’importer de la nourriture d’autres régions ou d’autres pays, un territoire fait le choix de substituer cette nourriture par des aliments produits localement. La pertinence et l’impact de telles stratégies fait l’objet de nombreux débats en économie. En effet, dans la mesure où cette discipline favorise l’efficacité dans l’allocation des ressources, il lui est difficile de prendre en compte d’autres valeurs. Or, d’après Philip Watson, co-auteur des deux articles, le débat sur l’alimentation locale est avant tout un débat de valeurs : efficacité contre autonomie.

D’après le chercheur, les partisans d’une alimentation locale devraient plutôt se focaliser sur l’identification et la quantification des externalités associées. Les externalités sont des impacts de l’activité économique qui ne sont pas reflétés dans les prix. Elles peuvent être positives ou négatives. La pollution est par exemple une externalité négative. Par définition, elles ne sont pas prises en compte par le commerce (sauf si des taxes ou des subventions viennent intégrer ces externalités dans les prix).

Les externalités positives les plus couramment citées à propos des systèmes alimentaires locaux sont :

  • Le maintien d’une activité paysanne,
  • La sauvegarde ou la création d’emplois locaux,
  • Les bénéfices associés à une vie sociale locale riche,
  • Des impacts réduits en termes de transport,
  • Une alimentation de meilleure qualité,
  • Des produits plus sûrs.

Les partisans de l’alimentation locale ne devraient donc pas tant essayer de démontrer un impact économique global positif, mais des externalités positives. Ces dernières sont la clé du calcul de l’impact positif ou non des systèmes alimentaires locaux. Par exemple, s’il s’avère que l’alimentation locale ne crée pas d’emploi ou ne réduit pas la pollution liée au transport, alors, produire local n’augmentera pas le bien-être général. Les externalités ne sont pas faciles à calculer car elles dépendent souvent du contexte ou du type d’opération analysé. Il s’agit donc d’un champ de travail ouvert aux chercheurs où, pour le moment, personne n’a le dernier mot. L’analyse de l’impact environnemental des circuits courts est un exemple d’un sujet qui gagne en complexité à mesure qu’on le creuse [voir notre article sur le sujet].

Par conséquence, c’est seulement en comparant de façon fine les externalités des systèmes alimentaires locaux et globaux, et en se posant systématiquement la question « que se passerait-il si… ? », qu’il sera possible d’en déduire le bon équilibre entre ces systèmes.

 


Avril 2018 – Albane GASPARD

Urban Food Futures remercie Philip Watson pour sa relecture et ses conseils

Source:

Watson, P., Cooke, S., Kay, D., Alward, G., Morales, A. (2017), “A Method for Evaluating the Economic Contribution of a Local Food System”, Journal of Agricultural and Resource Economics, Vol 42(2), p. 180-194

Winfree, J., Watson, P (2017), “The Welfare Economics of “Buy Local””, American Journal of Agricultural Economics, Vol 99 (4), p.971–987

Crédit photo : Pixabay

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