Discrète mais présente : la cueillette urbaine

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La cueillette urbaine est la collecte de plantes (comme les baies) et de champignons dans des endroits de la ville qui ne sont pas expressément prévus pour la production alimentaire. On ne connait pas encore grand chose de cette activité, ceux qui la pratiquent, et de sa pertinence pour la sécurité alimentaire urbaine.

Une équipe de chercheurs basée à Baltimore (Etats-Unis) a mené une enquête très complète pour documenter ce qui est cueilli, pourquoi, et, pour la première fois, le volume récolté. Cette étude met la cueillette urbaine sur le radar des urbanistes et soulève des questions sur ses risques et bénéfices en termes sanitaires et de durabilité.

Qui pratique la cueillette, et pourquoi ?

Les études existantes montrent que les raisons pour s’adonner à la cueillette varient en fonction du contexte. Par exemple, pour des populations migrantes, cela peut être une façon d’accéder à une alimentation qui a un sens culturel particulier pour elles, mais qui n’est pas disponible, ou de mauvaise qualité, dans les magasins de la ville. La cueillette a aussi assuré la diversité du régime alimentaire des populations lors du siège de Sarajevo dans les années 1990.

En des temps plus calmes, les raisons avancées par les cueilleurs sont très nombreuses. A Baltimore, tous les répondants à l’enquête ont cité le plaisir et les loisirs comme leur motivation première. Pourquoi le font-ils ? Pour compléter leur alimentation. La contribution moyenne de la cueillette à leur régime alimentaire est de 7%. Pour certains, cependant, cela peut monter jusqu’à 47%.

La recherche de bénéfices économiques est également présente. De fait, les répondants ayant les revenus les plus bas sont aussi ceux qui collectent le volume le plus important. L’étude n’a pas analysé pourquoi, mais une des hypothèses avancées par les auteurs est que ces ménages ont un budget alimentaire limité et que la cueillette leur permet de compléter leurs achats. Les ménages dont les revenus sont les plus hauts sont le deuxième groupe le plus actif. Ici, l’hypothèse peut être faite qu’ils disposent d’un temps de loisirs plus important. En effet, le manque de temps est cité par 59% des répondants comme la barrière principale à la cueillette.

A Baltimore, les répondants à l’enquête sont plus blancs et plus éduqués que la moyenne de la population. 78% ont un diplôme universitaire. Ce résultat ne peut pas être extrapolé à l’ensemble de la population de la ville, ou aux cueilleurs urbains en général, car l’étude n’a pas visé la représentativité des répondants. L’image qui ressort de l’enquête est celle d’un groupe socle de cueilleurs et de personnes qui pratiquent de façon occasionnelle : la majorité des répondants ont indiqué ne pratiquer que depuis 5 ans ou moins. Cette pratique a une forte dimension sociale : l’information sur ce qu’il faut cueillir (et où) vient principalement des amis, d’autres cueilleurs, puis d’Internet.

Qu’est-ce que les gens cueillent et où ?

Si on s’intéresse maintenant à ce que les gens cueillent en ville, on constate une grande diversité : les répondants ont cité plus de 170 espèces ! Des exemples ? Des fruits, des noix, des baies et des herbes. Les champignons représentent 75% du volume global.

La cueillette n’a pas seulement lieu dans les jardins publics. A Baltimore, 62% du volume provient d’espaces verts : des parcs, certes, mais également des cours de golfs, des forêts de persistants ou des aires de jeux. 24% est récolté dans les zones résidentielles. Une étude précédente a montré que les cimetières peuvent être un lieu de récolte des pissenlits, ou encore, que les plantes d’ornement autour des bâtiments peuvent être intéressantes pour les baies.

Ce qui a surpris le plus les chercheurs, c’est la distance parcourue par les cueilleurs : 7km en moyenne ! Cela suggère l’importance de cette activité à leurs yeux.

Un nouveau sujet à la table des politiques alimentaires urbaines ?

Cette étude met la cueillette sur le radar des villes : il s’agit bien d’une activité qui a lieu, même si les politiques alimentaires sont souvent muettes à son propos. Pour une proportion non négligeable (environ 20%) des répondants à l’enquête de Baltimore, elle fournit 10% ou plus de leur alimentation. D’après Keeve Nachman, co-auteur de l’étude, il est important de savoir dans quelle mesure la cueillette contribue au régime alimentaire des urbains. D’un côté, car elle peut être un allié pour la sécurité alimentaire, de l’autre, car elle soulève des questions de santé publique s’il s’avère que l’alimentation ainsi récoltée est polluée, par exemple, par des produits chimiques de l’air ou du sol. Des travaux devraient être entrepris pour mieux qualifier les bénéfices et les limites de la cueillette urbaine, afin de développer des politiques en adéquation avec les enjeux potentiels. Par exemple, les répondants à l’enquête de Baltimore ont tendance à ne pas laver ou éplucher (ou préparer d’une façon qui réduise la pollution) les légumes récoltés, s’exposant ainsi aux polluants de la peau des végétaux.

Cette étude soulève aussi la question de la potentielle surexploitation des ressources urbaines. De fait, certains des cueilleurs n’ont pas souhaité répondre aux questions sur les localisations de leur récolte pour cette raison, même si les chercheurs leur avait promis que celles-ci resteraient confidentielles. Il faudra plus de recherches à l’avenir pour étudier si les personnes qui cueillent en ville sont plus respectueuses que la moyenne, et récoltent de telle manière à assurer la croissance des plantes (par exemple en les taillant pour encourager leur développement). Marla Emery, co-auteure de l’étude, souligne que les espèces les plus cueillies étant des herbes qui poussent facilement, il est dur de penser qu’elles puissent être mises en danger par la cueillette. Cependant, il s’agit bien là d’une question qu’il faudra discuter si les politiques alimentaires urbaines se saisissent de la question.


Mai 2018

Urban Food Futures remercie Marla Emery et Keeve Nachman pour leur relecture et leurs conseils

Source : Colleen M. Synk, Brent F. Kim, Charles A. Davis, James Harding, Virginia Rogers, Patrick T. Hurley, Marla R. Emery, Keeve E. Nachman, (2017), “Gathering Baltimore’s bounty: Characterizing behaviors, motivations, and barriers of foragers in an urban ecosystem”, Urban Forestry & Urban Greening, Vol. 28, pp. 97-102

Pour un article Open Source sur la question, voir : Rebecca J. McLain, Patrick T. Hurley, Marla R. Emery & Melissa R. Poe (2013) “Gathering “wild” food in the city: rethinking the role of foraging in urban ecosystem planning and management”, Local Environment, Vol. 19:2, pp. 220-240

Crédit photo : Pixabay

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