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L’alimentation est l’une des activités urbaines qui a le plus d’impact sur l’environnement. Mais peut-on en déduire que les villes sont les seules responsables de l’impact de leur alimentation ? De fait, parmi les actions à mettre en place pour engager une transition vers une alimentation durable, nombreuses sont celles sur lesquelles les villes n’ont pas de prise. Dans ce contexte, l’action des villes vaut-elle vraiment le coup ? Les villes sont-elles le bon acteur pour affronter ces défis ?
Ces questions étaient le point de départ du travail de thèse de Dana Boyer à l’Université du Minnesota (Etats-Unis). Ses résultats ont été publiés dans une série d’articles académiques en 2017. La chercheuse et son équipe ont développé une méthode pour calculer l’impact environnemental des politiques alimentaires des villes sur trois axes : la consommation énergétique (et les Gaz à Effet de Serre – GES), d’eau et de terre. Ce qui est novateur dans l’approche des chercheurs, c’est que pour la première fois, ils n’ont pas seulement utilisé leur méthode pour appréhender les impacts des actions des villes, mais ils l’ont également appliqué à des actions que d’autres que les villes (les Etats nationaux, par exemple), pourraient mettre en place. Cela leur a permis de comparer l’impact des actions locales et de leurs homologues non locales.
Les villes ont-elles la solution entre leurs mains ?
Les chercheurs ont pris la ville de New Dehli (Inde) comme cas d’étude car celle-ci bénéficie d’un volume important de données sur son système alimentaire. Ils ont ensuite modélisé des actions représentatives de ce qu’une ville indienne pourrait faire, à savoir :
- Une modification du régime alimentaire, en abaissant la quantité de riz consommée au bénéfice d’autres denrées de base comme le blé, le sorgho ou le millet.
- Un développement de l’agriculture urbaine, soit en doublant la production en pleine-terre, soit en passant aux fermes verticales
- Le remplacement des combustibles utilisés actuellement pour cuisiner (comme le bois, les bouses de vaches ou le charbon de bois), qui sont très polluants et mauvais pour la santé, par une alternative plus propre (le gaz de pétrole liquéfié).
- L’amélioration de la gestion des déchets urbains (par l’envoi de l’intégralité de la partie fermentescible des déchets ménagers au compost ou dans des méthaniseurs).
Ils ont ensuite comparé leur impact à une action d’envergure nationale qui fait l’objet de discussions à l’heure actuelle en Inde, à savoir la réduction drastique des pertes alimentaires dans les premières étapes de la chaine alimentaire (la production et le transport). Les chercheurs ont imaginé que ce gaspillage pourrait passer de 35% à l’heure actuelle à un taux comparable aux meilleures pratiques constatées à l’échelle internationale, soit 13%.
Leurs résultats montrent que les actions locales, prises individuellement, peuvent avoir des impacts similaires à l’action « non locale » contre les pertes alimentaires, mais qu’aucune ne peut faire aussi bien sur les trois consommations considérées (l’énergie, l’eau et la terre). En particulier, l’amélioration de la gestion des déchets fermentescibles par la ville permet de diminuer les GES à un niveau équivalent à l’action contre les pertes alimentaires.
Par ailleurs, si on additionne toutes les actions locales, leur impact peut être équivalent à l’action mises en place à d’autres échelles que la ville. L’action des villes a donc toute sa place.
L’action des villes compte. Que doivent-elles faire ?
Non seulement la méthodologie développée aide à mieux comprendre l’impact de l’action des villes, mais elle peut aussi être utilisée par ces dernières comme aide à la réflexion sur les politiques à mettre en œuvre. Et ce de trois façons :
- En les éclairant sur les possibles tensions entre l’impact de leurs actions en terme d’énergie, d’eau et de terre. Comme la méthode ne se focalise pas seulement sur les GES, elle permet d’élargir la perspective. Par exemple, la substitution de la consommation de riz par le millet serait bénéfique en terme d’émissions de GES, mais provoquerait une augmentation de la demande en eau et en terre, car cette plante est moins productive que le riz.
- En leur permettant d’analyser si les impacts se matérialisent dans le périmètre de la ville ou en dehors. Dans un contexte de rareté, en ville, de ressources naturelles telles que l’eau, la terre ou l’énergie, il vaut mieux éviter de faire peser une trop grande pression sur elles. Or, la recherche a montré que le fait de doubler la production en agriculture urbaine (sans changer les méthodes de production) n’aurait que peu de bénéfices en termes de GES, mais conduirait à une augmentation importante des besoins en eau (+20%) et en terre (+49%) dans le périmètre de la ville. Ce qui n’est peut-être pas une bonne idée à l’heure où l’eau se fait plus rare à New Dehli…
- Analyser l’impact environnemental des politiques alimentaires au-delà de celles explicitement axées sur l’environnement. La politique alimentaire, en effet, n’a pas pour seul objectif la durabilité environnementale. En Inde, par exemple, la sécurité alimentaire des ménages urbains les plus défavorisés est également un défi de taille. Pour cette raison, les chercheurs ont utilisé leur méthode pour analyse l’impact environnemental d’une plus grande équité dans la consommation alimentaire. Leurs résultats montrent que le fait de s’assurer que les catégories sociales les moins favorisées puissent consommer assez de calories et de protéines aurait bien sûr comme effet d’augmenter l’impact environnemental global du système alimentaire de New Dehli, mais que cet impact pourrait être compensé par la mise en place d’actions à visée explicitement environnementale visant à le diminuer.
De l’analyse des impacts à l’identification des responsabilités
Cette méthode peut permettre aux villes de définir des priorités pour l’action, mais également de mieux comprendre ce qui relève de leur responsabilité et ce qui devrait être fait par d’autres acteurs. Quelle est l’action qui présente le plus grand potentiel ? Quelles sont les limites liées aux ressources naturelles de ma ville qu’il faut prendre en compte ? Ma ville met-elle ses efforts sur les politiques potentiellement les plus efficaces ? Ces questions remettent en perspective les actions d’ors et déjà engagées. Par exemple, cette recherche montre que, dans le cas de New Dehli, l’action sur les régimes alimentaires a le plus grand potentiel d’un point de vue environnemental. Or, il s’agit d’un champ d’action encore peu exploré pour le moment. La méthode permet ainsi d’identifier qui doivent être les partenaires dans l’action.
Depuis la publication de l’article académique en 2017, les chercheurs ont appliqué cette méthodologie à d’autres villes en Inde et aux Etats-Unis. Pour Dana Boyer, n’importe quelle ville peut l’utiliser, sous réserve d’avoir un minimum de données sur son système alimentaire.
N’hésitez pas à contacter Dana Boyer si vous souhaitez utiliser cette méthode pour votre ville !
Albane Gaspard – Septembre 2018
Urban Food Futures remercie Dana Boyer pour sa relecture et ses conseils
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Crédit photo : Pixabay