Chaleur, eau, énergie, phosphore… les déchets urbains regorgent des ressources pour l’agriculture urbaine
Accéder à ces ressources pose encore de nombreuses questions techniques
Les villes peuvent dès aujourd’hui commencer à répertorier leurs flux de déchets urbains utiles à la production alimentaire

Les villes du futur devront trouver de nouvelles façons de préserver les ressources, et la question se posera également pour l’agriculture urbaine. Si la production alimentaire des villes doit se développer, comment le faire avec le moins de ressources possibles ?
Des chercheurs des universités de Reading (Royaume-Uni), Michigan (USA) et de la Technical University of Denmark (Danemark) ont passé en revue les principaux flux de déchets urbains et la façon dont ils pouvaient contribuer à l’agriculture urbaine. En effet, qu’importe le niveau d’efficacité des villes, elles produiront toujours un certain volume de déchets. L’article est une bonne introduction à la notion d’économie circulaire appliquée à l’agriculture urbaine. Il montre cependant que les besoins de recherche sont encore importants avant que les villes puissent parfaitement boucler le cycle alimentaire !
Alors, quels sont les déchets urbains qui pourraient devenir une ressource pour l’agriculture urbaine ?
Transférer de la chaleur ?
Les villes produisent une grande quantité de chaleur, conséquence des activités humaines. Les bâtiments sont une source évidente de chaleur perdue, mais on peut également citer la production d’électricité ou les égouts. Cette chaleur pourrait être récupérée pour les serres alimentaires.
Une telle idée doit cependant relever quelques défis, parmi lesquels :
- La difficulté de collecter une chaleur peu intense répartie sur un grand nombre de bâtiments. Il semble plus pertinent de se concentrer sur les sources de chaleur importantes.
- L’enjeu de récupérer la chaleur au moment où la serre en a besoin, ce qui est plus simple dans les climats froids, lorsque les bâtiments sont chauffés en hiver, que dans les climats chauds.
Ceci, bien sûr, ne doit pas faire perdre de vue la nécessité de rénover les bâtiments pour lutter autant que possible contre les pertes de chaleur évitables.
Optimiser les sources d’eau ?
Des recherches antérieures ont montré que le développement de l’agriculture urbaine pourra créer une pression sur les ressources en eau dans la ville. On comprend donc tout l’intérêt de récupérer les eaux usées, qui viennent principalement des usines de traitement.
Cependant, les questions concernant la pollution des sols par les métaux lourds ou les éléments pathogènes présents dans l’eau traitée ne sont pas réglées. Sur les questions de l’eau, la recherche a encore du travail avant que les villes ne puissent boucler la boucle. Les chercheurs suggèrent cependant de commencer avec des sources d’eau connues pour leur bas niveau de pollution, comme l’eau rejetée par les brasseries.
Générer de l’énergie ?
Les déchets alimentaires sont une source d’énergie potentielle importante. En effet, on peut les transformer via la méthanisation, un procédé qui les « digère » grâce à des microorganismes opérant dans un environnement dépourvu d’oxygène. La méthanisation transforme les déchets alimentaires en gaz (composé principalement de dioxyde de carbone et de méthane), qui peut ensuite remplacer le gaz naturel, ou être utilisé pour produire de l’électricité. Et donc chauffer des serres. Le dioxyde de carbone produit peut également être utilisé pour enrichir l’atmosphère de la serre et stimuler la croissance des plantes. Ce procédé est d’autant plus intéressant qu’il permet d’éviter l’envoi des déchets alimentaires en décharge, or, la même équipe a estimé, dans un autre article, qu’environ 12% de l’empreinte carbone de l’alimentation des Etats-Unis était due aux décharges.
Pour les villes, cela signifie organiser une collecte séparée des déchets alimentaires. Des unités de petites tailles sont testées dans le cadre du projet européen DECISIVE à Lyon (France) et Barcelone (Espagne).
Utiliser de nouvelles sources de phosphore ?
Le phosphore est un macronutriment clé en agriculture, mais c’est aussi une ressource non renouvelable. Or, la demande globale augmente. Pour cette raison, il a été inclus par l’Union Européenne en 2014 sur la liste des matières premières stratégiques.
Les villes ont un rôle à jouer dans la gestion à long terme de la ressource en phosphore car il est présent dans une diversité de flux de déchets urbains. On peut citer par exemple les déjections humaines et animales, certains déchets industriels, et, bien sûr, le compost. Le digestat (ce qu’il reste de la décomposition) de la méthanisation est également un très bon engrais.
Vers la ville circulaire
Pour tirer au mieux parti de ces déchets potentiels, les villes peuvent dresser un inventaire des flux actuels ou potentiels qui peuvent contribuer à la production alimentaire. Soyez créatifs ! Une partie des déchets de la construction peut-elle être ré-utilisée dans les projets d’agriculture urbaine ? Les sites agricoles pourraient-ils inclure des composts pour capter les nutriments des déchets alimentaires des résidents locaux ?
Cela demande une planification sur le long terme : à quoi ressemblerait une ville dont les flux de déchets seraient optimisés ? Quelles seraient les infrastructures à mettre côte à côte ? Où localiser au mieux l’agriculture urbaine pour qu’elle bénéficie des ressources urbaines ? Quel type d’agriculture urbaine (culture en pleine terre, serres…) correspondrait le mieux aux sources actuelles ou futures de déchets urbains ? Et, point crucial, quelles doivent être les infrastructures urbaines qui permettront de capter ces ressources et les empêcher d’être perdues ? Vision sur le long terme, donc, car les investissements en infrastructure ne se décident pas du jour au lendemain.
L’économie circulaire ouvre ainsi de nombreuses questions, à la fois pour les chercheurs et les acteurs de terrain. Il n’est pas encore possible de dire comment les villes de demain parviendront à boucler la boucle. Mais commencer dès aujourd’hui à répertorier les flux de déchets urbains est la meilleure façon de rendre ce futur possible.
Albane GASPARD – Novembre 2018
Urban Food Futures remercie Eugene Mohareb pour sa relecture et ses conseils
Crédits photo : Pixabay