Alimentation durable : cultiver la capacité d’action collective

  • Les dirigeants des mouvements en faveur d’une alimentation durable doivent positionner leur action de façon stratégique
  • Les organisations militantes auront sans doute plus de succès si elles traduisent leurs objectifs dans les termes des priorités politiques des élus
  • Elles pourront également améliorer leur impact en jouant la carte de la coopération avec leurs pairs

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Qu’est-ce qui motive les personnes qui participent et dirigent les mouvements en faveur d’une alimentation durable ? Comment gèrent-ils leurs marges de manœuvre limitées ? Ces groupes coopèrent-ils pour améliorer leur impact collectif ? Lesli Hoey et Allison Sponseller de l’Université du Michigan (Etats-Unis) ont mené des entretiens avec des leaders militants du Michigan pour explorer ces questions. Leurs résultats permettent d’identifier des façons concrètes d’augmenter la capacité d’action collective de ces organisations et contribuer aux changements politiques.

Le Michigan, berceau des luttes alimentaires

Les mouvements en faveur d’une alimentation durable ont une longue histoire dans le Michigan, et ont connu un regain ces dernières années. Les habitants de l’état ont été actifs dans les mobilisations environnementales des années 1960, puis touchés lourdement par la récession des années 1980 qui s’est accompagnée d’un long déclin de l’industrie locale et d’une émigration importante. Dans de nombreux territoires, dont la ville de Détroit est l’exemple le plus connu, ces facteurs ont contribué au développement de mouvements militants dans le domaine de l’alimentation.

Les initiatives sont donc nombreuses. Elles se traduisent aussi bien dans l’agriculture urbaine, l’éducation à l’alimentation, les coopératives alimentaires gérées par les habitants eux-mêmes ou les AMAP, mais également les marchés de producteurs, les centres logistiques alimentaires, les conseils de politique alimentaires…. Michigan a également été le terrain d’expérimentation de programmes innovants d’aide alimentaire, et a élaboré une Charte Alimentaire à l’initiative de ses citoyens.

Quelles motivations à s’impliquer sur les questions alimentaires ?

Les auteurs ont interrogé 27 dirigeants d’organisations militant pour une alimentation plus durable par le biais d’actions concrètes ou de plaidoyer politique. Les principales motivations mises en avant par ces dirigeants sont :

  • L’existence d’une politique qui pose problème, ou au contraire, l’absence de politique qui permet à une situation problématique de perdurer. Les sujets sur lesquels ces acteurs souhaitent des évolutions politiques sont l’allocation des aides fédérales pour les agriculteurs, le renforcement des filets de sécurité sociaux ou la réduction des barrières à la production et aux entreprises locales.
  • L’impact négatif de l’action des entreprises privées, qui peut se traduire comme une incapacité du marché à générer des comportements d’entreprises socialement responsables, à rendre disponible l’alimentation dans les quartiers défavorisés, ou à proposer autre chose qu’une alimentation de mauvaise qualité. Ce système est décrit comme considérant l’alimentation comme une denrée et non comme un droit humain, et par conséquent comme incapable de fournir une alimentation de qualité à ceux qui ne peuvent pas se la payer.
  • Le manque de sensibilisation de la population en général sur les impacts environnementaux, sanitaires et sociaux du système alimentaire industrialisé, qui se nourrit de la distance grandissante entre les producteurs et les consommateurs.

Les personnes interviewées ont également fait part de leur volonté d’améliorer les compétences alimentaires de la population, et, également, de combattre le racisme structurel présent dans le système alimentaire. Ces deux dimensions sont décrites par ces acteurs comme centrales pour permettre aux gens d’acquérir un regard critique sur le système actuel et formuler des demandes de changement.

Dépasser les défis au niveau de chaque organisation

Les leaders interviewés ont tenté de faire évoluer les politiques au niveau local ou national, mais se sont heurtés aux défis suivants :

  • Une difficulté d’accès aux responsables politiques, doublée d’une incertitude sur comment influencer leurs décisions ;
  • Une capacité limitée des acteurs publics à s’engager dans l’action ;
  • Une faible inclusion dans les processus de décision politique, qui tendent à se concentrer plus sur les projets de grande envergure que sur les mouvements citoyens.

Peser sur l’évolution des politiques, locales comme nationales, peut donc représenter un coût prohibitif pour ces acteurs. Pour cette raison, les organisations militantes auront sans doute plus de succès si elles traduisent leurs objectifs dans les termes des priorités politiques, en aidant les élus à y intégrer les besoins de la communauté.

Améliorer la capacité d’agir collective

Les entretiens montrent que l’intérêt pour la coopération entre organisations se développe. Cependant, une telle coopération demande qu’on y alloue du temps et des ressources, pas toujours disponibles, et se heurte aux concurrences entre organisations. Les acteurs œuvrant à la mise en réseau se retrouvent vite face aux difficultés liées à l’existence d’objectifs potentiellement divergents entre organisations, et aux menaces qui pèsent sur leur survie.

D’après les auteures, il est possible pour ces organisations de trouver un équilibre entre action en autonomie et action en coopération. Cela doit s’organiser. Leurs dirigeants doivent créer des espaces où les divergences peuvent s’exprimer et se discuter, et les questions organisationnelles peuvent être pensées.

Améliorer la capacité d’agir collective de ces organisations est une entreprise difficile et qui prend du temps. Cependant, il est nécessaire de saisir toutes les opportunités de développer de façon pragmatique des alliances, des compétences et des connaissances nouvelles. Certains acteurs peuvent jouer le rôle de catalyseur et fournir ces espaces d’innovation. On peut penser à des institutions relativement privilégiées que sont les fondations ou les universités, ou les collectivités locales motivées. En l’absence d’action collective, il sera en effet difficile pour le mouvement pour une alimentation durable d’avoir un impact à la hauteur des enjeux.


Emma BURNETT – Janvier 2019

Urban Food Futures remercie Lesli Hoey pour sa relecture et ses conseils

Source : Hoey, L. & Sponseller, A. Agric Hum Values (2018) 35: 595

Crédits photo : Pixabay,

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