- Même si de très nombreuses actions ont été menées à New York ces dix dernières années, leur impact sur les indicateurs de sécurité alimentaire de base est au mieux modeste.
- Leur évaluation devrait répondre à la question : « Quel est l’impact cumulé des politiques ? »
- L’évaluation des politiques alimentaires urbaines doit également s’intéresser aux « politiques alimentaires cachées »
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New York est une des villes pionnières des politiques alimentaires urbaines. La ville et l’état de New York ont mis en place de nombreuses actions sur la dernière décennie. Pourtant, aucun effort systématique n’avait encore été fait à ce jour pour prendre du recul et regarder l’impact cumulé de ces politiques.
C’est pourquoi des chercheurs du CUNY Urban Food Policy Institute analysé l’ensemble des évaluations produites – mais jamais synthétisées – ces dernières années. Leur travail met en évidence les limites de la pratique de l’évaluation dans la ville, et appelle à intégrer pleinement l’évaluation dans la politique alimentaire urbaine.
Le résultat décevant de l’évaluation cumulative des actions
« Nous avons beaucoup fait, mais qu’avons-nous accompli ? » C’est cette question qui a guidé les chercheurs dans leur travail, autour de questions telles que :
- Les new yorkais sont-ils moins sujets à l’insécurité alimentaire, aux maladies non transmissibles liées à l’alimentation… qu’il y a dix ans ?
- Dans quelle mesure les changements observés sont-ils attribuables aux politiques menées ? Ou à l’évolution du contexte socio-économique ?
Ils ont focalisé leur analyse sur 5 indicateurs de résultats clés dans le domaine sanitaire et social qui traduisaient les effets attendus des politiques (comme, par exemple, la consommation quotidienne de fruits et légumes, le taux d’obésité et de surpoids…). Leurs résultats sont cruciaux pour toutes les villes du monde. En un mot : même si de très nombreuses actions ont été menées à New York, leur impact sur ces indicateurs de base est au mieux modeste.
Est-ce dû au fait que ces politiques sont menées à petite échelle ? De fait, beaucoup de ces programmes étaient des expérimentations, qui concernaient peu de personnes, et n’avaient pas de stratégie claire pour changer d’échelle.
Ou est-ce dû au fait que ces actions n’étaient tout simplement pas pertinentes ? La baisse significative (-14%) de l’insécurité alimentaire des New Yorkais entre 2012 et 2015 s’explique-t-elle mieux par le regain de croissance économique suite à la crise de 2008 ou par les politiques alimentaires urbaines ?
Nicholas Freudenberg, co-auteur de l’étude, en conclue qu’ « après dix ans de politique alimentaire, nous ne savons pas si le problème est que nous n’avons pas mené des politiques d’ampleur suffisante, ou si nous ne menons pas les bonnes politiques », ou si seulement, nous devons continuer ce que nous faisons à l’heure actuelle, mais en mieux et en plus longtemps.
L’évaluation éclatée amène la confusion
Comment expliquer cette situation ? D’après les auteurs, cela souligne le manque de cadre d’évaluation général qui permettrait de choisir les actions les plus efficaces.
Tout d’abord, à New York, comme dans beaucoup d’autres villes, les politiques et programmes sont évaluées l’un après l’autre, de façon séparée. Par ailleurs, ces évaluations se focalisent sur le court terme, et elles tendent à s’intéresser plus aux modalités de mise en œuvre d’une action qu’à son impact. Il est donc difficile de prendre du recul à partir de ces analyses.
Ensuite, le système actuel de suivi des politiques présente des limites. A New York, il existe bien un rapport d’évaluation général, appelé le Food Metrics Report, et qui est publié tous les ans depuis 2011. Il couvre 19 indicateurs et 5 objectifs. Cette analyse est un premier pas intéressant. Néanmoins, les chercheurs pointent plusieurs de ces limites :
- Il utilise seulement des données disponibles dans le giron du Conseil Municipal. Il n’inclue pas d’autres sources disponibles dans d’autres départements ou agences locales qui, pourtant, permettraient de se faire une idée plus complète des progrès accomplis.
- Il suit des indicateurs parce qu’ils sont disponibles, et non parce qu’ils sont les plus pertinents. Par exemple, il est difficile de se faire une idée sur l’impact des politiques sur la cohésion sociale et le développement économique si les seuls indicateurs dont on dispose sont le nombre de jardins partagés présents sur le foncier municipal, ou le montant des subventions octroyées aux entreprises dans le domaine alimentaire. Cette stratégie peut même amener à des interprétations fausses. Par exemple, si on suit seulement le nombre de commerces alimentaires ouverts grâce à une action spécifique (en l’occurrence, le programme FRESH), on s’empêche de voir la tendance de fond de fermeture de ces commerces dans les quartiers cibles du programme, qui contrebalance largement son effet.
- Il ne fournit des données qu’à l’échelle de la ville. Les données à une maille plus fine ne sont pas disponibles, ce qui ne permet pas de suivre les évolutions dans les quartiers les plus défavorisés, ni de dépasser les moyennes.
Ainsi, même si l’analyse du Food Metrics Report montre que des progrès ont été fait sur environ la moitié des indicateurs, on ne peut pas vraiment conclure de l’analyse que les New Yorkais vivent dans un environnement alimentaire amélioré par rapport à la situation il y a dix ans.
Prendre l’évaluation au sérieux
Que faire à partir de là ? Les chercheurs appellent à la mise en place d’un cadre d’évaluation qui documente les impacts (plutôt que les réalisations) et cherche à les expliquer. Un tel cadre devrait répondre aux questions suivantes :
- « Quel est l’impact cumulé des politiques ?
- Quels sont les composantes de ces politiques qui contribuent le plus et le moins aux changements observés ?
- Quel est l’effet de ces politiques sur différents groupes sociaux ? »
Une telle approche impliquerait de :
- Choisir avec soin les indicateurs à suivre, en sélectionnant des indicateurs d’impacts et non seulement de suivi de réalisations. Cela voudra sans doute dire créer de nouveaux indicateurs, car ceux qui existent sont trop liés à une action particulière.
- Impliquer une diversité de parties prenantes dans l’évaluation, car l’interprétation du suivi des indicateurs appelle le dialogue. Il s’agit par exemple d’impliquer les habitants des quartiers les plus défavorisés qui n’ont pas souvent voix au chapitre – alors qu’ils sont les premiers affectés par le système alimentaire actuel – ou des chercheurs qui peuvent conseiller sur les méthodologies à mettre en œuvre.
- S’intéresser à l’impact des « politiques alimentaires cachées », c’est-à-dire des politiques sur d’autres champs, qui ne s’intéressent pas explicitement à l’alimentation, mais qui ont un impact sur la sécurité alimentaire. Par exemple, la planification urbaine, les politiques d’égalité des genres, de l’habitat, d’éducation, ou de développement économique. Cela permettra de comprendre si l’impact constaté est lié à la politique alimentaire menée, ou à d’autres paramètres contextuels.
En adoptant une telle approche, les villes pourront identifier les bons leviers d’action et les barrières structurelles à lever.
Albane GASPARD – Mars 2019
Urban Food Futures remercie Nicholas Freudenberg pour sa relecture et ses conseils
Crédits photo : Image by Tanja Schwarz from Pixabay