- Les entreprises de transformation alimentaire sont un maillon manquant entre l’alimentation locale et de nouveaux marchés.
- Elles font face au défi de faire se rencontrer production locale, coûts fixes d’exploitation élevés et demande incertaine pour ces produits.
- Avant de prendre la décision d’investir dans un nouvel équipement, il est nécessaire de mener une analyse complète de la chaine de valeur.
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Au-delà de la production de matières premières et de leur consommation, les systèmes alimentaires durables demandent de s’intéresser également à la phase de transformation. Dans un chapitre d’un livre consacré aux systèmes alimentaires régionaux, Lauren Gwin, de l’Oregon State University (Etats-Unis) et Nick McCann, de la Michigan State University (Etats-Unis) nous font découvrir la réalité économique des entreprises de transformation alimentaire. Leur analyse est particulièrement utile pour les villes ou collectivités locales qui s’interrogent sur le développement de nouvelles chaines alimentaires.
Coup de projecteur sur la transformation alimentaire
Les auteurs définissent la transformation comme toute activité depuis le lavage minimal, le nettoyage, l’emballage (par exemple la mise en sachet de salade) jusqu’à la production plus complexe (comme la viande fumée). Il s’agit d’une activité clé de la chaine alimentaire, et pourtant, elle n’a pas fait l’objet de beaucoup d’attention dans les politiques alimentaires locales, qui se concentrent plutôt sur les circuits courts pour les matières premières non transformées.
Les unités de transformation alimentaire sont un maillon manquant entre l’alimentation locale et de nouveaux marchés. Transformer la nourriture permet de la garder plus longtemps, d’atteindre des consommateurs qui n’ont pas l’espace ou le temps nécessaire pour cuisiner – comme les écoles, et, de façon plus générale, la restauration collective -, ou encore de transformer un surplus en nouveaux produits, pour réduire le gaspillage.
C’est pourquoi les politiques alimentaires doivent s’intéresser aux activités de transformation.
Priorité à la rentabilité
Un enjeu central pour ces unités de transformation est leur modèle économique. Si ces établissements veulent pouvoir servir la communauté locale, ils doivent pouvoir couvrir leurs coûts et être rentables.
La nature de leur activité soulève des défis spécifiques. Faire fonctionner une unité de transformation demande par exemple des équipements onéreux et une main d’œuvre qualifiée. En d’autres termes, un investissement conséquent en infrastructure et des coûts fixes d’exploitation importants. Plus la transformation est complexe, plus elle coûte cher (à ce titre, la transformation de la viande est particulièrement onéreuse). La saisonnalité de la production ajoute à la difficulté, car il faut assurer une activité toute l’année pour ses employés.
Pour toutes ces raisons, les auteurs soulignent que faire tourner cette infrastructure au maximum de sa capacité est crucial pour assurer sa rentabilité, et donc sa pérennité.
Équilibrer intérêt général et rentabilité
Lorsqu’elles travaillent avec des producteurs locaux, ces unités font face à un double défi : celui de faire se rencontrer la production locale – qui représente souvent de petits volumes – avec :
- D’un côté, des coûts fixes d’exploitation élevés
- De l’autre, la demande pour ces produits.
Il arrive que leur engagement en faveur d’une alimentation durable ou équitable ajoute à la difficulté. Par exemple, une des unités analysées par les chercheurs pourrait générer une marge plus importante si elle vendait toute sa production au commerce de détail, mais elle souhaite permettre aussi aux écoles locales d’y accéder, ce qui réduit sa marge.
Pour assurer un équilibre entre intérêt général et rentabilité, ces acteurs ont développé une diversité de stratégies économiques, comme par exemple :
- Transformer des produits conventionnels en plus des produits locaux / durables. Par exemple, le Western Massachusetts Food Processing Center conditionne à la fois des haricots verts locaux, plus chers, et des volumes plus importants venant de fermes mécanisées plus grandes localisées dans le Maine.
- Offrir un service de conditionnement partagé aux fermiers locaux. Rassembler la production sous une marque régionale ou locale permet d’atteindre un volume d’activité suffisant.
- Fournir des services annexes aux entreprises alimentaires (accès à des équipements, du conseil, un service d’incubation, des prêts…). Un des cas d’étude analysés, le Mad River Food Hub (dans le Vermont) fournit, outre des équipements de transformation, le stockage de produits surgelés, la distribution et une assistance technique.
- Développer de nouveaux services alimentaires. Par exemple, les transformateurs de viande peuvent mettre en place une activité de traiteur pendant la saison basse.
Comment choisir la stratégie la plus pertinente ? Pour Lauren Gwin, co-auteure du chapitre, cela dépend du degré de complémentarité entre les nouveaux services et les activités existantes, en termes notamment d’équipements et de compétences.
Faire se rencontrer l’offre et la demande
Assurer un volume d’activité suffisant est une chose, mais s’il n’y a pas de demande pour les produits, cela peut mettre à mal toute l’opération. Les auteurs donnent l’exemple d’un petit transformateur de viande en Iowa qui a dû fermer après 4 mois d’activité pour cette raison.
Pour cela, certains transformateurs régionaux s’impliquent dans la rencontre entre offre et demande. Ils peuvent, par exemple, créer et promouvoir une marque régionale. Ce faisant, ils offrent un service aux producteurs locaux tout en assurant leur propre viabilité économique.
Les auteurs soulignent l’importance d’investir dans le développement du marché. En d’autres termes, il ne suffit pas de fournir des unités de transformation pour les fermiers, il faut également trouver des débouchés.
Votre territoire a-t-il vraiment besoin d’une nouvelle unité de transformation ?
Mettre en place une nouvelle unité de transformation est par conséquent une entreprise risquée. Pour cette raison, avant de prendre la décision d’investir dans un nouvel équipement, les acteurs devraient exploiter au maximum les opportunités ouvertes par les infrastructures existantes, et se demander « Qu’est-ce qui, dans ce qui existe déjà, n’est pas utilisé à la hauteur de son potentiel ? ». Cela implique de :
- Chercher à optimiser le fonctionnement des équipements existants. Par exemple, les auteurs font remarquer que beaucoup de petites unités de transformation de viande donnent l’impression qu’elles ont besoin de plus d’espace de chambre froide, quand, en réalité, il s’agit surtout de libérer l’espace existant en faisant payer les producteurs qui viennent collecter leur viande en retard.
- Explorer les possibilités de conditionnement partagé. Cela permet de se donner du temps pour voir si la demande pour ces produits existe bien.
Pour analyser la pertinence d’un tel investissement, Lauren Gwin rappelle qu’il est important de :
- Comprendre comment les unités de transformation fonctionnent et leurs enjeux spécifiques.
- Mener une analyse complète de la chaine de valeur pour recueillir l’avis de tous les acteurs. La transformation n’étant qu’un maillon de la chaine, elle ne peut fonctionner que si les intérêts des producteurs, des transformateurs et des distributeurs sont alignés.
Ces conseils permettent aux acteurs, y compris les collectivités locales, de mieux comprendre si le territoire a vraiment besoin d’un nouvel équipement, et à quelle échelle (régionale ou locale) le positionner.
Albane GASPARD – Avril 2019
Urban Food Futures remercie Lauren Gwin pour sa relecture et ses conseils
Source : Gwin, L., McCann, N. (2017), “Use It or Lose It: Local Food, Regional Processing and the Perils of Unused Capacity”, in Federal Reserve Bank of St. Louis (2017), Harvesting Opportunity. The Power of Regional Food System Investments to Transform Communities
Crédits photo : Image by andressaheimbecher from Pixabay,