Les résultats des recherches sur l’impact du milieu alimentaire sur la santé sont encore largement contradictoires.
L’accès à une alimentation de qualité est une condition nécessaire mais non suffisante pour améliorer le régime alimentaire des populations urbaines.
Existe-t-il un lien entre l’accessibilité de l’alimentation et la santé des populations urbaines ? Les recherches sur le sujet se sont développées ces dernières années. Dans un chapitre de la seconde édition du livre Neighbourhoods and Health, des chercheurs de la Harvard Medical School passent en revue la littérature scientifique existante. Leur travail montre à quel point il est difficile de documenter ce phénomène. Il met en lumière que l’accès à une alimentation de qualité est une condition nécessaire mais non suffisante pour améliorer le régime alimentaire des populations urbaines.
Premier défi : documenter l’accessibilité alimentaire
Si le concept d’accessibilité de l’alimentation est facile à se représenter, il est assez difficile à capturer via des statistiques. Or, c’est bien de statistiques dont les chercheurs ont besoin pour documenter l’ampleur d’un phénomène. Les recherches sur le sujet se heurtent à plusieurs difficultés :
- Tout d’abord, qu’est-ce qu’un « bon » établissement alimentaire ? Les fast food viennent immédiatement en tête comme des contre-exemples. Mais, qu’en est-il de supermarchés qui vendent à la fois une alimentation saine et des produits très transformés ?
- Ensuite, où les gens achètent-ils vraiment leur nourriture (et pourquoi) ? Les études actuelles tendent à se focaliser sur les lieux de résidence. Mais les gens peuvent également faire leurs courses à côté de leur travail, de l’école de leurs enfants… Or, les recherches ne capturent pas encore ces circuits. Par exemple, à Los Angeles, moins de 25% des habitants achètent leur nourriture dans leur quartier. Les gens peuvent également utiliser la voiture : le supermarché le plus proche devient ainsi accessible, même s’il n’est pas possible de s’y rendre à pied. Un petit nombre d’études regardent la distance entre là où les gens vivent et les établissements alimentaires les plus proches. Elles sont intéressantes car elles prennent en compte le temps de transport et la distance réelle parcourue dans un contexte donné.
Par conséquent, comme le soulignent les auteurs, « il est probable que le problème de l’incertitude géographique frappe la littérature scientifique sur le milieu alimentaire lié au lieu de résidence ». Plus profondément, ces analyses ont du mal à capturer l’environnement alimentaire réel des gens. De façon intéressante, une étude citée dans le chapitre montre une différence entre l’analyse du niveau d’accessibilité alimentaire dans un quartier selon qu’on pose la question aux habitants ou qu’on le mesure de façon objective via un système d’information géographique (SIG).
Deuxième défi : analyser les impacts sanitaires
Une autre difficulté à laquelle la recherche sur l’environnement alimentaire est confrontée est celle de l’analyse des impacts sanitaires.
- Tout d’abord, il faut s’intéresser non pas à l’état sanitaire des populations à un moment donné (ce qu’on appelle des études transversales) mais à son évolution (dans des études longitudinales).
- Ensuite, il faut prendre en compte le fait que la santé a de multiples facettes. Elle s’approche via de nombreux indicateurs, comme, par exemple, le poids, mais aussi l’hypertension, le diabète… D’après Jason Block, co-auteur du chapitre, le régime alimentaire est l’indicateur le plus intéressant à suivre, car c’est celui qui est le plus lié à l’exposition à un environnement alimentaire donné. Cependant, le régime alimentaire n’est pas un indicateur d’impact sanitaire en soi, car il faut ensuite le relier à des effets sur la santé.
A la recherche de l’étude parfaite….
Cette exploration des études sur l’environnement alimentaire nous amène à une conclusion troublante :
- D’un côté, il est difficile de capturer l’accessibilité alimentaire avec les statistiques actuelles,
- De l’autre, il est compliqué d’analyser les impacts sanitaires.
L’étude parfaite associerait des données de long-terme (longitudinales) sur le régime alimentaire des populations avec une information détaillée, remontant sur plusieurs années également, sur leur environnement alimentaire. Or, très peu sont les études qui peuvent accéder à un matériau aussi riche.
Même avec des données de qualité, reste la question de la relation de causalité. Par exemple :
- Si on voit dans les chiffres une corrélation positive entre la santé des habitants et une densité importante de fast food dans un quartier, peut-on en déduire que ces derniers ont un impact négatif sur la santé ? Ne serait-ce pas que les fast food tendent à s’implanter dans des quartiers dont les habitants ont déjà l’habitude de fréquenter ces établissements?
- Une corrélation entre le milieu alimentaire et la santé cache-t-elle d’autres facteurs ayant un impact sur cette dernière, comme, par exemple, le niveau de revenus, de stress, ou l’exposition à des polluants ?
Des résultats “largement contradictoires”
Par conséquent, les auteurs concluent que les résultats de la recherche sur le milieu alimentaire sont « largement contradictoires ». Un exemple ? Une étude a montré que l’ouverture d’un supermarché dans un quartier de Leeds (Royaume-Uni) avait amélioré le régime alimentaire de ses habitants, mais une autre n’a trouvé aucun bénéfice dans un quartier de Glasgow (Ecosse).
Cela montre bien l’importance de ne pas seulement regarder une seule étude, mais bien des revues de littérature qui font des synthèses de l’existant. Sur la question de l’environnement alimentaire, ces revues montrent que les résultats des études transversales divergent. Par ailleurs, parce qu’elles utilisent des données et des méthodes différentes, il est extrêmement difficile de les comparer.
Si on regarde plus spécifiquement les études longitudinales, on trouve des corrélations entre le milieu alimentaire et la santé pour certains sous-groupes (aux Etats-Unis, par exemple, pour les non-blancs, les groupes à faibles revenus ou les femmes).
Ne pas compter sur le seul supermarché pour changer les habitudes alimentaires
En quelques mots, nous savons donc peu de choses. Ce qui est certain, cependant, c’est que l’environnement alimentaire ne peut être qu’un des ingrédients pour améliorer la santé. Ce n’est pas parce qu’un supermarché vendant des fruits et légumes frais ouvre dans un désert alimentaire que les habitants vont adopter un régime alimentaire sain. Les habitudes alimentaires ne changent pas du jour au lendemain. Par exemple, une étude à Pittsburg (Etats-Unis) a monté que les habitants ayant fréquenté le nouveau supermarché ouvert dans leur quartier n’ont pas changé le volume global de calories ingérées.
D’après Jason Block, les décideurs doivent aller plus loin pour aider les individus à faire des choix plus éclairés. Parfois, cela passe par l’ouverture d’un nouveau magasin. Mais la plupart du temps, cela implique de les aider à faire des choix là où ils font déjà leurs courses. Par exemple, en rendant l’alimentation saine plus attractive financièrement, ou en fournissant des conseils et de l’information sur le lieu et au moment où ils achètent.
Albane Gaspard
Mai 2019
Urban Food Futures remercie Jason Block pour sa relecture et ses conseils
Crédits photo : Image by Free-Photos from Pixabay
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