Comment faire entrer l’alimentation dans l’urbanisme ?

Nous disposons d’ors et déjà de tous les outils d’urbanisme pour gérer les questions alimentaires.

Des villes bien planifiées peuvent héberger une économie dynamique basée sur l’alimentation qui assure leur résilience.

Le soutien à des processus multi-partenariaux de long terme est clé.

Pendant longtemps, la planification urbaine et régionale ne s’est pas intéressée à l’alimentation. La donne est en train de changer : depuis les années 2000, les urbanistes commencent à parler d’alimentation. Dans un livre intitulé « Integrating Food into Urban Planning », publié en 2018, Yves Cabannes et Cecilia Marochinno nous proposent un tour du monde de la façon dont l’urbanisme peut contribuer à des systèmes alimentaires urbains durables.

A la (re)découverte des outils de planification

Londres, Toronto, Rosario… et une grande partie des villes pionnières de l’alimentation ont eu recours à la planification physique et sectorielle comme un ingrédient clé d’action et de transformation. En effet, les outils traditionnels d’urbanisme sont très pertinents pour agir sur les systèmes alimentaires. On peut citer par exemple :

  • La production de savoirs: par exemple, plusieurs villes ont pris le temps de cartographier leurs ressources alimentaires, comme le foncier ou le commerce. Bristol (Royaume-Uni) a mené un audit de son foncier agricole, en analysant à la fois son potentiel et les risques associés (inondations, changement climatique…). La cartographie effectuée à Rosario (Argentine) a initié un processus qui a mené à la mise en place d’une banque foncière municipale. A Fortaleza (Brésil), la mise au point d’une carte de la faim a joué un rôle central, non seulement pour trouver des solutions pour cette ville en pleine expansion, mais aussi comme inspiration pour la fameuse politique brésilienne Zéro Faim. La production et le suivi d’indicateurs est également un exercice important en urbanisme, d’autant plus qu’ils peuvent être produits à une échelle fine permettant de suivre les effets d’une politique sur certains quartiers.
  • La régulation foncière : quand les stratégies alimentaires renseignent sur quelles activités devraient avoir lieu dans la ville, l’urbanisme doit aider à décider de leur localisation. En effet, d’après Yves Cabannes, des outils d’urbanisme très concrets comme le zonage sont clés car ils matérialisent une vision et protègent des espaces dédiés à l’alimentation de la bétonisation. On peut citer par exemple la limitation des commerces vendant des aliments gras et sucrés à New York (Etats-Unis), la protection des terres agricoles péri-urbaines ou encore la légalisation de la production alimentaire en ville.

Les outils d’urbanisme sont donc disponibles pour les villes qui veulent s’atteler aux enjeux alimentaires. Ainsi, les auteurs du livre concluent que, de nos jours, « nous sommes équipés techniquement pour gérer les défis liés à la sécurité alimentaire urbaine ».

Un nouveau rôle pour les urbanistes

Mais l’urbanisme n’est pas seulement une question d’outils. Il vise également à rassembler les acteurs pour qu’ils partagent une vision commune et qu’ils s’accordent sur sa traduction spatiale. L’urbanisme est donc un processus, et, qui plus est, participatif. Dans le domaine de l’alimentation, cela a des incidences très concrètes sur le travail au jour le jour des urbanistes :

  • Tout d’abord, les urbanistes doivent se concevoir comme des facilitateurs d’un processus, et non seulement comme des fournisseurs de cartes, de normes et d’orientations impeccables qui courent le risque de ne pas être suivies en l’absence de soutien des citoyens ou des autres acteurs de la ville.
  • Ensuite, ils doivent développer un argumentaire sur l’intérêt de s’intéresser à l’alimentation. En effet, comme pour tout nouveau sujet, la planification alimentaire doit s’attacher à convaincre, et à expliciter les défis et les solutions, notamment pour les urbanistes travaillant sur d’autres secteurs. Cela prend du temps, qui ne doit pas être minimisé.
  • Enfin, les urbanistes doivent connecter le système alimentaire avec les autres systèmes urbains que sont, par exemple, l’eau ou les transports. D’après Yves Cabannes, les politiques les plus fructueuses sont celles qui sont le mieux connectées aux autres secteurs. Par exemple, « l’urbanisme doit créer des mécanismes pour coordonner, créer des liens et optimiser ces liens avec les autres secteurs urbains comme l’approvisionnement et le traitement de l’eau, la gestion des déchets, les transports, la santé ou le logement, pour n’en nommer que quelques-uns ».

Les auteurs nous rappellent qu’un tel processus peut prendre des années. Par exemple, la ville de Rosario (Argentine) est souvent citée en exemple, mais cela ne doit pas faire oublier qu’il a fallu plus de 15 ans pour que sa stratégie alimentaire prenne de l’ampleur, et pour passer de quelques projets à des politiques structurées. La clé réside dans la production de résultats formels comme des Chartes alimentaires ou des Stratégies alimentaires, et leur approbation par les instances municipales, afin de créer des points de non-retour. Le soutien à des processus multi-partenariaux de long terme est donc clé.

L’agriculture urbaine comme catalyseur de l’urbanisme alimentaire

Les exemples fournis dans le livre montrent que la planification alimentaire émerge en lien avec différents sujets (santé, lutte contre la pauvreté, développement économique, durabilité environnementale…).

Un sujet, cependant, ressort comme jouant un rôle très spécifique. Il s’agit de l’agriculture urbaine. La production et la transformation alimentaire agissent comme un catalyseur de l’action. Pourquoi ? Parce que les mobilisations pour sauvegarder des activités d’agriculture urbaine (ou pour en créer) génèrent une masse critique qui permet de faire entrer l’alimentation sur l’agenda politique. De plus, les liens sont faciles à établir entre l’agriculture urbaine et d’autres objectifs de politique locale comme la cohésion sociale ou la santé.

Il est donc important de ne pas considérer l’agriculture urbaine comme une mode, mais d’exploiter son potentiel d’ouverture à des politiques alimentaires plus larges.

Le droit à la ville

Plus profondément, les planificateurs alimentaires doivent faire prendre conscience aux différents acteurs de la ville que l’alimentation peut être une composante viable d’une économie urbaine et d’un système urbain durable.

Une telle idée a été développée dès le 19eme siècle par les penseurs des villes jardins, comme Ebenezer Howard à Letchworth (Royaume-Uni). D’après Howard, la ville ne doit pas se réduire à l’industrie (et de nos jours, aux services). Des villes bien planifiées peuvent héberger une économie dynamique basée sur l’alimentation qui assure leur résilience. Un autre exemple est la ville de Milan, où une planification bien pensée a permis le développement d’une production alimentaire variée dans la région urbaine elle-même.

Ainsi, intégrer l’alimentation dans l’urbanisme, c’est reconnaître que les activités alimentaires sont un ingrédient clé des villes durables de demain.

Albane GASPARD

Septembre 2019

Urban Food Futures remercie Yves Cabannes pour sa relecture et ses conseils

Source : Cabannes, Y. and Marocchino, C. (eds). 2018. Integrating Food into Urban Planning. London, UCL Press; Rome, FAO

Crédits photo : Pixabay

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