Les acteurs ont des points de vue très différents sur le futur des systèmes alimentaires.
Trois nouveaux imaginaires ont émergé pour remettre en cause celui de la modernisation technologique.
Les villes doivent traduire leurs objectifs en des mots qui établiront des ponts avec les autres imaginaires, pour mobiliser de nouveaux acteurs.
La participation est une composante essentielle des politiques alimentaires urbaines. Pourtant, les villes ont souvent du mal à mobiliser au-delà des « habitués », militants de l’alimentation durable. Dans un article de 2018, Paul Thompson, de la Michigan State University (Etats-Unis) nous rappelle que les acteurs ont des points de vue très différents sur ce que le futur des systèmes alimentaires devrait être. Mieux comprendre les imaginaires qui motivent les acteurs est un premier pas pour engager le dialogue.
L’imaginaire en place: la modernisation technique
L’auteur esquisse quatre façons d’imaginer le futur de l’alimentation. Ces imaginaires sont des idées globales sur le présent et le futur qui cadrent la façon dont les acteurs voient la réalité, et qui sous-tendent leur action. Il est par conséquent important de les connaître pour comprendre la façon dont ils voient le monde.
Le premier imaginaire est celui de la modernisation technique. Il a émergé lorsque l’industrialisation a rencontré le système alimentaire. Cela a changé la façon dont l’alimentation était cultivée dans les champs (utilisation de produits chimiques, mécanisation), celle dont elle était transformée (avec le développement des usines agro-alimentaires) et consommée (avec des modifications importantes dans les cuisines mêmes des ménages).
Dans cet imaginaire, les mécanismes de marché sont les moteurs clés de l’action. Les acteurs du système alimentaire sont pensés comme des acteurs économiques exclusivement motivés par le profit, qui réagissent donc aux prix et aux opportunités de marché.
Les trois nouveaux imaginaires
De nos jours, cet imaginaire de la modernisation technologique est remis en cause par des acteurs qui ont des idées différentes sur la façon comment le système alimentaire va, et là où il devrait aller. Emergent de nouveaux imaginaires, donc :
- L’imaginaire de « l’intensification durable ». Il repose sur l’idée que le système alimentaire actuel n’est pas bien équipé pour nourrir la planète, surtout dans un contexte de croissance démographique et de changement climatique. Ses objectifs ? « Nourrir le monde ». Dans cet imaginaire, l’accent est mis sur la nécessité d’augmenter la productivité et l’efficacité générale du système. Cela signifie faire un meilleur usage de la terre et de l’eau, et lutter contre les pertes alimentaires. Le raisonnement qui le sous-tend est qu’il faut réduire le poids de l’agriculture sur l’environnement (pollution, utilisation des services écosystémiques).
- L’imaginaire du « Système alimentaire régional » est apparu en réaction à une vision des systèmes alimentaires comme mus par le seul profit. L’idée est que l’alimentation, ce n’est pas seulement une question de profits, mais également de liens sociaux qui se construisent entre acteurs. Cet imaginaire peut se résumer par « contrôler son destin alimentaire ». Cela se traduit dans les circuits courts, les marchés de producteurs… Une hypothèse clé est que « l’alimentation sera toujours produites dans des fermes, et celles-ci renforceront l’archétype de l’entreprise familiale qui a caractérisé la majorité des systèmes alimentaires depuis l’invention de l’agriculture ». Cet imaginaire n’est cependant pas exempt de contradictions : d’après Paul Thompson, la principale étant la tension entre consommateurs et producteurs dans la recherche conjointe de justice sociale et de prix bas.
L’imaginaire ambigüe de l’agriculture urbaine
Le troisième imaginaire qui a émergé ces dernières années est différents des précédents : il vient d’acteurs urbains. Paul Thompson l’appelle l’imaginaire de l’ « Agriculture Urbaine ».
Il est apparu chez des acteurs de grandes villes devant le défi de nourrir une population urbaine grandissante. Il repose sur l’idée que les groupes urbains ont besoin d’avoir plus de contrôle sur le système alimentaire.
De façon intéressant, l’auteur fait remarquer que cet imaginaire est assez nouveau et peu cohérent. Plus spécifiquement, il souligne une ambigüité centrale dans cet imaginaire de l’Agriculture urbaine :
- D’un côté, il a pour moteur une maxime du type « nourrir la ville ». En cela, il se rapproche de l’imaginaire de l’intensification durable, et les recherches et projets en cours sur l’agriculture urbaine high tech l’illustrent à merveille.
- De l’autre, il est également porté par des acteurs avec des objectifs plus sociaux (cohésion sociale, éducation…). Cela se traduit par des fermes éducatives, des jardins partagés…
Cette ambigüité explique la grande diversité des acteurs et des projets de l’agriculture urbaine, mais souligne également une difficulté potentielle à les rassembler, dans la mesure où leurs objectifs sont assez différents, voire opposés.
Prendre en compte les imaginaires des acteurs dans les politiques alimentaires
Ces imaginaires sont-ils compatibles ? La question est ouverte. Peut-on ré-imaginer le système alimentaire pour empêcher les tensions entre ces imaginaires de devenir des points bloquants ?
Pour le moment, cependant, cette carte des imaginaires clé est un outil utile pour que les villes s’orientent à travers leurs parties prenantes. En effet, le fait de savoir que les acteurs avec lesquels elle travaillent sont porteurs d’un de ces quatre imaginaires les aidera à sortir de leur propre façon de voir le monde.
De plus, cela les poussera à traduire leurs objectifs politiques en des mots qui établiront des ponts avec les autres imaginaires, pour mobiliser de nouveaux acteurs. Par exemple, si une ville a pour visée une plus grande justice sociale, elle peut également expliquer comment ses actions contribuent aussi à nourrir les populations urbaines dans un contexte de croissance démographique et de changement climatique. De cette façon, elle pourra mobiliser les acteurs qui portent une vision d’intensification durable. Ainsi, les imaginaires auront-ils un impact sur les actions concrètes des villes.
Albane GASPARD
Octobre 2019
Urban Food Futures remercie thanks Paul Thompson pour sa relecture et ses conseils
Crédits photo : Pixabay
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