Les conséquences inattendues des succès des politiques alimentaires urbaines

Si les politiques de lutte contre le gaspillage alimentaire sont efficaces, les banques alimentaires auront-elles du mal à accéder à des denrées alimentaires ?

Cet exemple souligne à quel point il est important d’adopter une perspective systémique.

Il est crucial de cartographier le lien entre les objectifs de la politique alimentaire urbaine.

Dans notre système alimentaire actuel, marqué par la pauvreté alimentaire et le gaspillage, la lutte contre la précarité alimentaire peut passer par la redistribution des surplus alimentaires. Mais, demain, que se passera-t-il si on réussit à réduire le surplus et le gaspillage alimentaire ? Comment les organisations d’aide alimentaire peuvent-elles anticiper une telle situation ? Et que peuvent faire les collectivités locales pour aider la transition ? C’est le sujet d’un article récent publié par des chercheurs des Universités de Pise et Macerata (Italie). Leur travaille met en lumière l’importance d’adopter une approche systémique des politiques alimentaires urbaines.

Deux objectifs qui pointent vers un compromis

La lutte contre la précarité alimentaire et celle contre le gaspillage alimentaire sont deux objectifs importants pour toute ville qui s’embarque dans une stratégie alimentaire. Or, le fait que ces deux objectifs soient étroitement liés n’apparaît pas au premier abord. En effet, de nos jours, de nombreuses organisations d’aide alimentaire récupèrent les surplus pour les redistribuer. Ainsi, cette activité de récupération se situe à la rencontre entre deux univers différents : d’un côté, la prévention du gaspillage alimentaire et, de l’autre, la lutte contre la précarité alimentaire.

Cependant, même si ces deux objectifs sont étroitement liés, l’impact que pourrait avoir l’atteinte de l’un (la réduction du gaspillage) sur l’autre (la lutte contre la précarité alimentaire) est rarement étudié. Or, il est important de le faire car la hiérarchie européenne sur le gaspillage alimentaire adoptée en 2018 place la prévention du gaspillage avant la redistribution : le gaspillage doit d’abord être évité, et c’est que qui ne peut pas l’être qui doit être redistribué pour la consommation humaine (puis animale, puis, recyclé).

Que se passera-t-il si les politiques de lutte contre le gaspillage alimentaire sont efficaces ? Les banques alimentaires auront-elles du mal à accéder à des produits alimentaires ?

Les chercheurs ont pris le temps de cartographier les relations entre ces deux silos de la politique alimentaire. Ils ont également analysé ce qu’il s’est passé dans les années 2010, quand des modifications apportées au Fond Européen d’Aide aux Plus Démunis (FEAD) ont placé les organisations d’aide alimentaire dans une situation de pénurie.

C’est en étudiant en détail les logiques internes à ces deux silos qu’ils ont pu identifier deux stratégies principales que les organismes d’aide alimentaire peuvent adopter pour anticiper la transition.

Augmenter le volume de denrées récupérées

Une première stratégie consiste à augmenter le volume d’alimentation récupérée. En effet, même dans un système alimentaire durable, il y aura toujours un volume minimal de surplus alimentaire (même si le volume exact que cela représente est difficile à estimer). Ainsi, une solution pourrait être d’améliorer la récupération de ce surplus. Si on augmente la proportion de ce surplus inévitable qui est récupérée, alors, il y aura plus d’alimentation disponible pour la redistribution.

Comment augmenter cette proportion ? Cela dépend, d’un côté, des caractéristiques des aliments eux-mêmes (durée de conservation, besoin de réfrigération…), et, de l’autre, des efforts à faire pour les récupérer (maintenance, protection, transformation…). Ainsi, toute politique qui lève les barrières aux donations et baisse les efforts pour récupérer les aliments sera un pas dans la bonne direction. D’après les chercheurs, cela inclue agir sur « le manque de connaissance de la part de donateurs sur les aliments qu’il est possible de donner, (ou) l’absence d’infrastructure logistique facilitant les donations de toute taille, grande ou petite ».

Renforcer la capacité d’action des banques alimentaires

La seconde stratégie consiste à renforcer la capacité d’action des banques alimentaires, pour les aider à maximiser le potentiel de toute alimentation récupérée. Cela peut prendre plusieurs formes :

  • Soutenir le déploiement d’infrastructures et d’équipements adéquats (comme, par exemple, des entrepôts, des équipements de réfrigération ou des véhicules). Ici, les villes peuvent aider en mettant à disposition des espaces.
  • Renforcer les ressources humaines : les organisations d’aide alimentaire reposent souvent sur la bonne volonté de bénévoles. Elles doivent donc passer du temps à recruter, gérer et motiver sur le long terme de leurs équipes. Elles ont également besoin de compétences très spécifiques en gestion de projet et planification. Tout appui sur la gestion des ressources humaines les soulagerait et leur permettrait de se concentrer sur leur cœur d’activité.
  • Trouver des nouveaux moyens de récupérer des denrées qui ne soient pas issues de surplus. Par exemple, via des collectes alimentaires ou de fonds.

Les villes doivent adopter une approche systémique

D’après Francesca Galli, l’auteure principale de cet article, cette analyse souligne à quel point il est important d’adopter une perspective systémique de l’alimentation dans les politiques alimentaires. En effet, les objectifs de politique alimentaire peuvent être connectés d’une manière qu’il n’est pas facile de percevoir quand on travaille en silo.

Cet article est un bon exemple de la façon dont une cartographie conceptuelle des causes et des conséquences des politiques permet d’identifier des compromis. L’étape suivante serait de quantifier ces relations à l’aide de modèles quantitatifs. En effet, les décideurs, à l’échelle nationale comme locale, doivent pouvoir aider les banques alimentaires à se faire une idée de l’ordre de grandeur de ce défi qui se présente à elles. De cette façon, la transition vers un système alimentaire plus durable peut être anticipée et organisée.

Source: Urban Food Futures, from Galli et al (2019)

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