Les réseaux nationaux ont contribué à améliorer la capacité d’action collective des conseils locaux de politique alimentaire.
Selon qu’ils choisissent d’être plutôt un lieu de formation des groupes locaux, ou une plateforme commune pour pousser des changements politiques nationaux, les réseaux s’organisent différemment.
Le degré de maturité des groupes locaux et de structuration des réseaux a un impact sur leur capacité à s’attaquer aux enjeux structurels des systèmes alimentaires.
Le développement des instances locales de politiques alimentaires (Conseil de politique alimentaire, « Food Policy Councils » ou « Food Partnerships ») a été accompagné par celui de réseaux. Ceux-ci se développent au niveau national (Allemagne, Espagne, Canada, Pays-Bas…), régional (par exemple, le EAT Nordic Cities Initative ou l’African Food Security Urban Network) et mondial (Pacte de Milan, ICLEI-RUAF CITYFOOD…).
Que peut-on attendre de ces réseaux ? Un article récent analyse deux réseaux qui fonctionnent depuis un certain temps déjà aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Ses conclusions peuvent aider tout réseau cherchant à évaluer son rôle dans la transition vers des systèmes alimentaires durables.
Améliorer la capacité d’action collective
Les chercheuses ont étudié deux réseaux qui opèrent à l’échelle nationale dans deux pays : d’un côté, le Food Policy Networks project aux Etats-Unis, et de l’autre, le Sustainable Food Cities network au Royaume-Uni. Bien que ces deux pays soient très différents (par exemple en ce qui concerne le degré d’autonomie des collectivités locales ou le contexte de financement des actions), la comparaison aide à améliorer la compréhension de ce que les réseaux peuvent faire pour soutenir les groupes locaux de politique alimentaire.
Quels sont les accomplissements à mettre au crédit des réseaux nationaux ? Les chercheuses mettent en lumière des avancées immatérielles mais cruciales, dont :
- Une augmentation de la collaboration entre les groupes locaux. Par exemple, les réseaux aident les acteurs locaux à identifier qui, parmi leurs pairs, est confronté aux mêmes problématiques, ce qui permet de créer des groupes de travail. Par ailleurs, les réseaux ont facilité les liens entre d’autres réseaux travaillant sur des sujets plus spécifiques. Par exemple, au Royaume-Uni, le Sustainable Food Cities Network a initié une collaboration avec des organisations travaillant sur la précarité alimentaire, ce qui a mené à la création de la UK Food Poverty Alliance. Ainsi, des ponts ont été créés entre les acteurs œuvrant à une alimentation plus durable et ceux travaillant à plus de justice sociale et de meilleurs salaires.
- La légitimation des groupes locaux de politique alimentaire et de leur action. Appartenir à un réseau permet aux acteurs locaux de replacer leur travail dans un contexte plus large, et de réduire leur isolement. Aux Etats-Unis, l’enquête annuelle menée par le réseau leur permet de démontrer leur appartenance à un mouvement national. Au Royaume-Uni, le réseau organise chaque année une remise de prix qui permet aux acteurs locaux d’acquérir une visibilité nationale.
- La montée en compétence des acteurs locaux. Les réseaux fournissent des ressources, de la formation et un appui technique qui permet d’améliorer la capacité d’action des groupes locaux de politiques alimentaires.
Et enfin, un dernier apport clé des réseaux est leur contribution à l’évolution des façons de voir les systèmes alimentaires, et, plus spécifiquement, à l’évolution de la manière dont les décideurs et les financeurs conçoivent les problèmes des systèmes alimentaires actuels. Les réseaux ont donné leurs lettres de noblesse à l’approche systémique et aux partenariats intersectoriels.
Une timidité pour aborder les enjeux structurels ?
Il y a, cependant, des questions encore en suspens eu égard à l’impact des réseaux sur la transformation du système alimentaire. L’une d’elles a trait à la façon dont les réseaux gèrent la question du changement social. Devraient-ils s’attaquer à des enjeux structurels tels que la propriété foncière, la justice entre groupes d’origines ethniques différentes, le droit du travail, et, plus généralement, les relations de pouvoir qui sont au cœur de nos systèmes alimentaires actuels, injustes et non durables ? Ou devraient-ils plutôt se concentrer sur des gains rapides ?
Cette question n’a pas de réponse unique, car tous les groupes locaux n’ont pas la même vision de comment gérer les enjeux les plus conflictuels. Les groupes locaux de politique alimentaires sont eux-mêmes des réseaux représentant une diversité de parties prenantes locales : ils ont souvent du mal à s’entendre sur des messages communs à porter. Par exemple, aux Etats-Unis, des questions sur le salaire minimum peuvent être difficiles à aborder dans des groupes contenant des représentant d’entreprises qui s’opposent à une telle politique.
Par ailleurs, des différences significatives existent entre régions, que ce soit aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni. Elles impliquent des différences à la fois dans les enjeux (culturels, politiques, économiques…) soulevés par les systèmes alimentaires, et dans les groupes qui les gèrent. Par exemple, la composition et les objectifs d’un conseil de politique alimentaire dans des villes riches et progressives seront sans doute très différents de ceux de régions rurales plus conservatrices, ou de villes en déclin économique. Cela complique la tâche pour trouver des messages et des revendications politiques communs.
Un réseau : pourquoi faire, en fait ?
A première vue, les réseaux anglais et américains ont les mêmes objectifs : organiser les échanges et l’apprentissage entre pairs, aider la montée en compétence des conseils alimentaires locaux, appuyer la recherche et l’évaluation de leurs actions.
Cependant, définir l’objectif d’un réseau national n’est pas si simple qu’il y parait. En effet, d’après Raychel Santo, co-auteure de l’article, les réseaux se retrouvent face à un dilemme intéressant : doivent-ils servir de lieu de rassemblement et de formation des conseils alimentaires locaux, ou de plateforme commune pour pousser des changements de politique au niveau national ? Ou les deux ?
Ces deux objectifs impliquent des façons de s’organiser différentes. En effet, ils ont une incidence sur :
- La nature des membres et le processus de prise de décision. Par exemple, on peut faire l’hypothèse que la capacité du réseau anglais à lancer des campagnes collectives est liée à son degré de structuration, qui inclue un processus formel d’adhésion.
- La façon dont ils allouent leurs ressources. En fonction de leur objectif, les réseaux investiront plutôt leur temps et leurs ressources pour influencer la politique nationale, ou pour fournir une assistance technique à leurs membres. L’impact des réseaux dépend aussi de quels groupes ils mettent en avant et soutiennent matériellement.
Soyez préparés au changement
Si la première question qu’un réseau devrait poser à ses membres est donc « quel est notre objectif ? », Raychel Santo insiste sur le besoin de poser cette question de façon régulière En effet, les conseils alimentaires sont des groupes en constante évolution, et leurs besoins changent en conséquence.
Par exemple, les bénévoles et le financement évoluent régulièrement, ce qui entraine des changements dans les priorités et les ressources des groupes locaux. Il est probable que leurs attentes vis-à-vis des réseaux changeront au fil du temps.
Par ailleurs, si les acteurs locaux apprennent à mieux se connaitre, ils pourront peut-être trouver la manière de discuter des enjeux les plus conflictuels, ce qui permettra aux réseaux qui les représentent d’élargir aussi le périmètre des questions sur lesquelles ils travaillent. A mesure que les groupes mûrissent, les opportunités de développer des messages communs à une échelle nationale devraient ainsi émerger.
Par conséquent, les réseaux doivent être prêts à s’adapter pour répondre aux besoins en constante évolution de leurs membres.
Albane GASPARD
Novembre 2019
Urban Food Futures remercie Raychel Santo pour sa relecture et ses conseils
Crédits photo : Victor Hanacek, Picjumbo
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