Une équipe britannique de chercheurs et praticiens a développé une boite à outils d’évaluation des stratégies alimentaires locales.
Le processus d’élaboration de cet outil s’est révélé aussi important que le résultat final.
L’outil est suffisamment flexible pour fonctionner sans la « donnée parfaite »
Une équipe transdisciplinaire (Université de Cardiff, Réseau Sustainable Food Cities) a développé une boite à outils pour documenter le progrès des villes vers la durabilité alimentaire. Le travail montre que l’évaluation ne se réduit pas à rassembler des données : elle permet aussi de construire une histoire commune pour donner envie d’agir.
L’action de votre ville en un coup d’œil
L’équipe a travaillé avec une centaine d’acteurs de terrain venant de 41 endroits différents au Royaume-Uni pour développer cet outil, qu’elle a ensuite appliqué aux villes de Cardiff et Bristol.
La boite à outils couvre quatre dimensions (gouvernance, santé et bien-être, économique, environnemental). Pour chaque dimension, les acteurs ont identifié :
- Un objectif, c’est-à-dire un but général (par exemple, « des villes e bonne santé ») ;
- Une situation cible, c’est-à-dire un état ou une position à atteindre pour atteindre le but (par exemple, un taux bas de maladies liées à l’alimentation) ;
- Un indicateur pour mesurer les avancées (par exemple, la baisse de maladies liées à l’alimentation), et
- Des activités qui peuvent potentiellement contribuer à améliorer les indicateurs (par exemple, l’augmentation des portions de légumes dans les repas scolaires). Ces activités ont été réparties dans les catégories suivantes : partenariats et collaboration, politiques et stratégies, infrastructure et planification services publics et soutien, information et conscientisation, et instruments de marché.
Cette cartographie systématique des activités permet d’identifier les principaux manques dans les actions. Par exemple, à Cardiff, elle a montré que la ville pourrait aller plus loin sur des leviers tels que les instruments de marché ou la planification d’infrastructures.
Relier les activités à leurs impacts
Un défi central soulevé par la création de cette boite à outils a été d’établir des liens formels entre des actions locales (capturées par les indicateurs d’action) et leurs impacts sur le système alimentaire (qui font échos aux objectifs globaux). En d’autres termes, les relations de cause à effet sont dures à mettre en évidence.
L’équipe a mené une revue de littérature d’ampleur pour vérifier dans quelle mesure les activités pouvaient être liées à des impacts. La boite à outils présente les actions dont il est démontré qu’elles contribuent à atteindre les objectifs globaux. Par exemple, la cartographie des ressources alimentaires locales (les espaces verts, ou alors les espaces sur lesquelles des activités liées à l’alimentation peuvent s’implanter) contribue à soutenir l’économie alimentaire locale. Cependant, Ana Moragues-Faus, l’une des co-auteures de l’article, a été surprise par le peu d’analyses d’impact systématiques des initiatives alimentaires locales existantes.
Par conséquent, la boite à outils ne prétend pas que les actions qu’elle présente sont suffisantes pour atteindre les objectifs (voir à ce sujet notre article « Nous avons beaucoup fait, mais qu’avons-nous accompli ? » Leçons de la politique alimentaire de New York). Elle permet, cependant, d’engager le débat sur les raisons pour lesquelles la ville ne voit pas les effets des actions mises en place. Cela peut être dû au fait que d’autres tendances, qui vont dans le sens inverse, sont également à l’œuvre. Par exemple, des efforts pour introduire une alimentation biologique dans les écoles peuvent être contrebalancés par une augmentation de la restauration rapide, ou par le fait que les parents n’ont pas le temps de cuisiner.
Au-delà des données
La question de la collecte de données s’est posée avec une acuité particulière pendant tout le processus d’élaboration de la boite à outils. En effet, les villes ne disposent pas toujours de l’indicateur parfait qui irait parfaitement dans le cadre d’analyse, et il est difficile d’allouer des fonds à la collecte de nouvelles données. De fait, les données représentent souvent une limite dans les processus qui visent à capturer l’impact des actions alimentaires locales (voir à ce sujet notre article Evaluer les impacts économiques des systèmes alimentaires locaux).
Au Royaume-Uni, l’équipe a décidé de contourner la difficulté entre faisant appel à des données secondaires, des entretiens avec les acteurs locaux et en sélectionnant des indicateurs faciles à mesurer et accessibles. Ana Morgues-Faus est reconnaissante de la façon dont les acteurs ont accepté de partager leurs connaissances sur le système alimentaire locale, même si elle pense que le projet aurait pu aller encore plus loin pour collecter toute la diversité des points de vue. Cette information qualitative a été particulièrement utile pour éviter d’être piégés par des indicateurs trop étroits. Par exemple, seulement regarder le volume de déchets alimentaires produits peut être trompeur : en effet, si la consommation de fruits et légumes augmente, alors les déchets alimentaires le feront aussi, sans que cela ne soit une mauvaise nouvelle. Des approches qualitatives peuvent ainsi nuancer les chiffres.
Par ailleurs, la chercheuse souligne que la boite à outils est suffisamment flexible pour fonctionner sans la « donnée parfaite ». Le simple fait de cartographier les actions existantes et d’utiliser cette cartographie pour mettre en lien les acteurs est déjà un premier pas important pour les villes.
Le processus est aussi important que la boite à outils
En effet, une autre leçon majeure de cette recherche est que le processus d’élaboration de la boite à outils s’est révélé aussi important que le résultat.
Tout d’abord, parce qu’il a permis aux acteurs d’expliciter leurs objectifs et leurs visions de ce qu’est un système alimentaire local durable, et de se mettre d’accord sur ces objectifs. Par exemple, dans le champ de la santé et du bien-être, les acteurs ont décidé d’exprimer ainsi leur objectif : « améliorer la santé et le bien-être physiques et mentaux en réduisant la pauvreté alimentaire, améliorer l’accès à une alimentation saine, abordable et culturellement acceptable pour tous, promouvoir des régimes alimentaires sains et augmenter la participation dans les activités sociales et physiques liées à l’alimentation ». Ce processus est clé pour faire voyager des idées d’une organisation à une autre, et pour aider chaque acteur à aligner son travail avec celui de ses homologues.
C’est la raison pour laquelle, d’après Ana Moragues-Faus, les villes doivent prendre le temps de se demander ce qu’elles attendent d’une telle boite à outils quand elles se lancent dans son développement. S’il s’agit d’inspirer les acteurs et de les mettre en lien, il semble plus pertinent d’investir plus dans le processus que dans la collecte de données. Si elles souhaitent comparer leur action à celle de leurs homologues internationaux, alors il sera important de s’aligner sur les indicateurs d’ors et déjà présents dans les boites à outils internationales développées par exemple par la FAO Food-For-Cities (voir à ce sujet notre article L’ABC de l’analyse des systèmes alimentaires urbains) ou par le Pacte de Milan.
En effet, les bénéfices du développement d’une boite à outils sont multiples : rendre visible l’action de votre ville, expliciter votre vision du problème, vous comparer, soutenir la prise de décision, évaluer et prévoir les évolutions à venir. Si les villes ont les idées claires sur la raison pour laquelle elles développent une boite à outils, celle-ci sera une base très utile pour développer des politiques alimentaires urbaines intégrées.
Albane GASPARD
Janvier 2020
Urban Food Futures remercie Ana Moragues-Faus pour sa relecture et ses conseils
Crédits photo : Pixabay
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