Très peu de stratégies alimentaires urbaines contiennent un plan de mise en œuvre.
Des pans entiers du système alimentaire (notamment la transformation et la distribution) sont absents des documents d’orientation politique.
Les villes ont encore très peu de connaissance sur les flux alimentaires réels qui les traversent. Cela les empêche d’identifier des sujets sur lesquels leur intervention serait nécessaire.
De plus en plus de villes adoptent des stratégies alimentaires formelles, consignées dans des documents d’orientation. Une opportunité pour les chercheurs d’analyser plus en détail ce que les villes disent qu’elles vont faire, et comment… Deux articles académiques se sont penchés sur ces documents d’orientation. Ils ont regardé à la fois ce qu’ils contenaient, mais également ce qu’il y manquait. De fait, la lecture des stratégies alimentaires urbaines révèle des manques intéressants.
Des contextes différents, mais des objectifs similaires ?
Quels objectifs les villes se donnent-elles dans le domaine de l’alimentation ? Les regarder nous apprend beaucoup du contexte dans lequel elles se trouvent. Par exemple, des objectifs tels que la sécurité alimentaire, la nutrition et l’accès à l’alimentation sont plus souvent mobilisés par les villes du Sud. Ils ne sont cependant pas absents du Nord, même s’ils sont présentés différemment. Par exemple, les villes d’Amérique du Nord parlent de « quartiers en pleine santé » (healthy neighbourhoods) ou de déserts alimentaires, qui expriment différemment les enjeux d’accès à la nourriture. Les villes françaises adopted plus souvent que les autres des objectifs liés aux achats publics, ce qui reflète la dynamique nationale autour des cantines scolaires.
De façon intéressante, cependant, même si la différence entre contextes se traduit dans les objectifs, les chercheurs font remarquer qu’on trouve également une grande similarité. Quatre thèmes en particulier apparaissent plus souvent que les autres : la production locale, l’agriculture, le développement économique (qui inclut l’amélioration des circuits de distribution) et l’éducation. Et certains thèmes n’apparaissent, pour leur part, presque jamais : l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique, ou le bien-être animal. Cela veut-il dire que toutes les villes sont confrontées aux mêmes problèmes ? Ou est-ce que l’intensification des échanges entre villes à l’échelle mondiale ces dernières années a contribué à harmoniser leurs politiques ? (voir notre article précédent sur le copier/coller des projets).
Et les mêmes instruments ?
Des ressemblances se retrouvent également lorsqu’on regarde les instruments de politique publique que les villes vont utiliser. La communication ou l’éducation, et les instruments financiers (subventions, achats publics, autorisation d’utiliser du foncier public, aide alimentaire…) sont ceux qui reviennent le plus souvent.
Des instruments plus stricts, comme la régulation, sont moins communs (les villes des Etats-Unis sont celles qui les utilisent le plus. Par exemple, New York y a recours pour préserver les jardins). Est-ce que le contexte réglementaire qui encadre l’action des villes ne leur permet pas de les utiliser ? Ou est-ce que les politiques alimentaires urbaines n’osent pas aller jusque-là ?
Des objectifs, mais pas de plan de mise en œuvre
Un autre point qui interpelle dans ces documents est le manque de plan clair de mise en œuvre de la stratégie.
Les chercheurs ont analysé les stratégies de 41 villes ayant signé le Pacte de Milan. 35 fournissent des informations sur les actions et les instruments qu’elles comptent mettre en œuvre, mais seulement 9 sur 41 incluent des objectifs précis et des échéances associées. Certaines villes, comme Bruxelles, Medellin ou Sao Paulo, font partie des plus complètes à cet égard. Mais, pour d’autres, il est difficile d’estimer si les objectifs vont réellement se transformer en action.
Les stratégies ne couvrent qu’une partie du système alimentaire
Un point clé de l’analyse qui ressort des deux articles est que des pans entiers du système alimentaire sont absents des documents d’orientation politique. Les chercheurs parlent de « milieu manquant », pour qualifier l’absence d’activités du milieu de la chaine alimentaire comme la transformation ou la distribution (voir notre article précédent sur La transformation alimentaire, maillon manquant des politiques alimentaires locales).
Comment l’expliquer ? Les chercheurs formulent plusieurs hypothèses :
- Tout d’abord, les acteurs impliqués dans les politiques alimentaires viennent, historiquement de coalitions s’intéressant soit aux enjeux de production, soit à ceux de l’accès à l’alimentation (la consommation). Ces deux catégories d’acteurs se retrouvent dans les politiques locales, mais l’ouverture à des parties prenantes représentant d’autres étapes de la chaine alimentaire n’a pas encore été faite.
- Ensuite, les villes ont encore très peu de connaissance sur les flux alimentaires réels qui les traversent. Cela les empêche d’identifier des sujets sur lesquels leur intervention serait nécessaire.
- Enfin, les activités correspondant à ce « milieu manquant » sont souvent régulées à un niveau régional, national voire international. Or, l’analyse des documents d’orientation et les focus groups réalisés par les chercheurs montrent que les villes intègrent peu les échelons supérieurs dans leur gouvernance alimentaire. Cela peut les amener à passer à côté d’enjeux systémiques plus larges.
Pour cette raison, une recommandation pour l’action qui ressort de ces articles est de prendre le temps de cartographier les flux alimentaires (voir notre article précédent sur la méthodologie d’analyse des systèmes alimentaires urbains). Cela permettra aux villes d’identifier la manière dont elles s’inscrivent dans un système alimentaire plus vaste, les enjeux que cela soulève, et ce qu’elles peuvent faire pour y remédier.
Albane GASPARD
Juin 2020
Source :
Sonnino, R. Tegoni, C. De Cunto, A. , (2019) The challenge of systemic food change: Insights from cities, Cities, Vol. 85, pp. 110-116
Crédits photo : Photo by Richard Dykes on Unsplash
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