Les deux facettes de la participation dans les politiques alimentaires locales

Il y a différentes façons de concevoir la participation : cela se traduit en processus très différents.

Les collectivités doivent-elles jouer le rôle de locomotive ou créer un espace d’émergence d’un réseau local ?

Elles pourraient faire les deux, au fur et à mesure que la politique gagne en maturité.

Dans tous les cas, elles doivent vérifier régulièrement qui participe, et – encore plus important – qui ne participe pas.

La naissance des politiques alimentaires urbaines est concomitante, dans de nombreux pays, avec le développement de la participation dans les politiques locales. Cependant, la question alimentaire pose des questions bien spécifiques en termes de participation. En effet, comment faire prendre la participation sur un sujet nouveau pour les acteurs locaux ? Un sujet dont, en tant que collectivité, vous n’êtes pas encore expert ?

Un article publié dans Politics and Governance analyse les processus participatifs mis en place lors du lancement de la politique alimentaire de la ville d’Ede, aux Pays-Bas. Les chercheurs ont observé la manière dont les fonctionnaires territoriaux en charge de cette politique concevaient leur rôle et celui des acteurs non gouvernementaux (associations, citoyens…). Ils mettent en évidence une tension entre deux façons très différentes de concevoir la participation.

Devez-vous jouer le rôle de locomotive pour les acteurs locaux ?

Première manière de concevoir la participation : celle de la locomotive. Elle se détaille ainsi : « en tant que collectivité, nous nous devons de prendre le leadership dans la politique alimentaire. Nous devons mobiliser les acteurs locaux sur ces enjeux car, malgré les défis importants auxquels est confronté le système alimentaire, on agit encore peu. Notre action est légitime car elle améliorera le bien-être et la richesse de la ville, tout en nous positionnant comme pionnier sur ces questions ».

Cette manière de voir se traduit de façon très concrète dans la manière d’organiser le processus participatif. A Ede, en 2012, il s’est agi de repérer et d’inviter les parties prenantes locales pour discuter de la politique alimentaire. Comment les acteurs locaux invités ont-ils choisi ? Les fonctionnaires ont invité :

  • Les acteurs qu’ils connaissaient ;
  • Ceux qu’ils cherchaient à mobiliser, c’est-à-dire les acteurs qu’ils pensaient pertinents ;
  • Les acteurs considérés comme des experts de la question. Les fonctionnaires territoriaux attendaient qu’ils participent à leur montée en compétence sur un sujet aussi nouveau que l’alimentation.

Il ne s’agissait donc pas d’une invitation ouverte. Les citoyens locaux, par exemple, n’ont pas été spécifiquement invités, bien que certaines parties prenantes locales aient une double casquette (à la fois partie prenante et habitant).

Quand la participation met à jour des objectifs divergents

Cette façon d’organiser la participation est une manière pragmatique pour mettre en route une politique. Elle comporte néanmoins plusieurs limites :

  • D’abord, elle est limitée à certains acteurs, qui ne sont peut-être pas représentatifs de l’ensemble des parties prenantes du système alimentaire à l’échelle locale. Par exemple, à Ede, les habitants n’ont, au début, pas été invités à prendre part à la discussion. Cela peut amener à exclure de la politique des sujets pourtant considérés comme importants par certaines parties prenantes.
  • Ensuite, on peut se demander si ces processus participatifs n’ont pas plus à voir avec le fait de rechercher un soutien pour la politique locale plutôt que d’encapaciter les acteurs locaux. Ces arènes sont-elles seulement ouvertes aux acteurs locaux dont les objectifs sont congruents avec ceux de la collectivité ?

L’exemple du jardin en libre service que les services techniques d’Ede voulaient créer près de la mairie illustre bien cette tension dans la participation. Dans l’esprit des fonctionnaires territoriaux, ce jardin pouvait être viable car les habitants aideraient à l’entretenir. Or, il s’est avéré que les habitants n’avaient pas envie d’y dédier du temps. Le projet a donc été mis en sommeil.

Une question clé, ici, est la suivante : le processus de participation at-t-il été conçu pour anticiper et gérer les tensions potentielles qui naissent, d’une part, de la volonté de mobiliser les acteurs et, de l’autre, de la nécessité de les écouter ?

Devez-vous soutenir les initiatives locales ?

A côté de cette première manière de concevoir – et donc d’organiser – la participation, les chercheurs ont mis en évidence qu’il en existait une seconde, qui cohabitait dans les discours et pratiques des fonctionnaires territoriaux. Cette seconde approche voyait la participation comme une manière d’encapaciter les initiatives existantes en faveur d’un système alimentaire durable et leur offrir un espace pour se développer.

Elle peut s’exprimer de la façon suivante : « en tant que collectivité, nous avons notre propre façon d’analyser les enjeux du système alimentaire, mais nous ne pouvons pas l’imposer aux autres. Nous devrions plutôt entamer la conversation avec des gens qui agissent sur le terrain, et soutenir ces initiatives ».

Cela conduit à mettre en place des processus participatifs différents de ceux décrits plus haut. Ici, la priorité est de créer des espaces pour rassembler les pionniers et les militants de l’alimentation, et de faciliter l’émergence d’un réseau local. Cela peut par exemple se traduire dans l’organisation d’un évènement qui met en avant ces initiatives.

Aspect positif : cette organisation de la participation peut permettre à une communauté locale d’émerger et de se consolider, ce qui lui permettra de mieux supporter d’éventuels changements dans les orientations politiques.

Aspect négatif, cependant : en se concentrant sur une seule catégorie d’acteurs locaux, ces processus participatifs ne permettent pas d’entamer le dialogue entre parties prenantes ayant des points de vue différents.

Bonne nouvelle : les deux stratégies sont conciliables

Cet article dans Politics and Governance aide les collectivités locales à clarifier ce qu’elles attendent de la participation, ainsi que les bénéfices et les limites de chaque stratégie.

Doit-on en déduire que ces deux stratégies sont incompatibles ? Pas vraiment. D’après Joëlla van de Griend, qui a mené la recherche de terrain, la première option, celle de la locomotive, est très pertinente lors du lancement de la politique alimentaire locale. En effet, elle permet de poser les orientations, et de débuter de façon pragmatique. Elle permet aussi de montrer des résultats à court terme, ce qui est essentiel pour une politique nouvelle. La base de la participation peut ensuite s’étendre, au fur et à mesure que la politique gagne en maturité. A Ede, par exemple, la ville a maintenant crée un Conseil de Politique Alimentaire qui inclut des habitants. Avec le temps, il devient également plus facile pour les fonctionnaires en charge de la politique d’ouvrir des espaces pour la participation sans en maîtriser les résultats.

Dans tous les cas, la chercheuse insiste sur le fait que les collectivités locales doivent vérifier régulièrement qui participe, et – encore plus important – qui ne participe pas. Elles doivent être conscientes de ces manques et chercher à les combler. Ainsi, elles s’assureront que les politiques alimentaires ne se concentrent pas seulement sur les sujets portés par les acteurs qu’on entend le plus, ou ceux qui ont le plus de liens avec la collectivité.

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