Les fermes high tech sont-elles le futur de la sécurité alimentaire urbaine ?

Les fermes high tech semblent être du registre de la science-fiction, mais leur développement fait écho à des défis bien réels pour la sécurité alimentaire urbaine dans le futur (demande alimentaire en ville, changement climatique…).

Ces fermes font face à de nombreux défis (milieu urbain, coûts…) et innovent pour y répondre.

Il est difficile de conclure de façon définitive sur la contribution potentielle de ces fermes à la sécurité alimentaire urbaine. La seule chose que nous savons, c’est qu’elles n’ont pas encore atteint leur plein potentiel.

Les fermes urbaines high tech, au design futuriste, attirent de plus en plus les investisseurs et l’attention des médias. Sont-elles juste un effet de mode ou ont-elles un intérêt pour le futur alimentaire des villes ? Un article dans Agricultural Systems nous propose un tour d’horizon des potentiels de ces fermes et des défis auxquelles elles sont confrontées.

De quoi parle-t-on ?

De quel type de ferme parle-t-on exactement ? L’agriculture urbaine peut en effet prendre une grande variété de formes (voir notre article Point d’étape sur les bénéfices environnementaux de l’agriculture urbaine). Cet article dans Agricultural Systems se concentre sur les fermes qui opèrent en milieu clos, conditionné, et qui sont très souvent intégrées au bâti. Cela peut être, par exemple, des serres sur les toits ou des exploitations en intérieur (fermes verticales), sous éclairage artificiel. Ces exploitations ont en commun leur recours à un environnement contrôlé. Leur développement a été rendu possible par des innovations techniques dans l’éclairage, à savoir l’apparition des LED, très efficaces.

Aujourd’hui, ces fermes ne représentent qu’une fraction de la production agricole totale. Par exemple, aux Etats-Unis, en 2016, on estime qu’environ 11 000 tonnes de laitue étaient produites en serre, et 6 500 en fermes verticales, ce qui n’est rien comparé aux 4 millions de tonnes produites en plein champ.

Le futur pourrait être high-tech

Si ces fermes semblent anecdotiques, pourquoi s’intéresser à elles ? L’article souligne que, si elles semblent à l’heure actuelle être du registre de la science-fiction, leur développement fait écho à des défis bien réels pour la sécurité alimentaire urbaine dans le futur. Ces défis sont :

  • Une augmentation de la demande alimentaire, principalement en zone urbaine, couplée à des questions sur la capacité de l’agriculture en plein champ à répondre à cette demande. En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la productivité agricole a nettement augmenté (de 150-200%) alors que la surface agricole, dans le même temps, n’augmentait que de 12%. Cependant, cette augmentation de la productivité a eu des impacts environnementaux majeurs. L’agriculture parviendra-t-elle à garder une productivité haute tout en réduisant ses impacts environnementaux ? La question reste ouverte. Les fermes agricoles en intérieur pourraient ainsi être une option pour augmenter la productivité, en contrôlant l’environnement et en augmentant le nombre de mois où il est possible de cultiver des plantes. Les données sur la productivité de ces fermes sont cependant encore très difficiles d’accès, car l’activité est encore assez nouvelle. Pour la catégorie de plantes sur lesquelles il existe des données publiques, les laitues et autres légumes en feuilles, les données montrent que la production est en moyenne de 2 kg de récole par mètre carré et par an en plein champ, et qu’elle passe à 40 kg en serre, et peut monter jusqu’à 100 kg dans les fermes verticales. C’est le fait de pouvoir contrôler l’environnement et de cultiver une plus grande partie de l’année qui a un impact sur la productivité. D’autres recherches sont nécessaires sur d’autres plantes pour avoir une image plus globale du potentiel de ces fermes.
  • Le changement climatique aura pour corollaire de plus grandes variabilités du climat et des catastrophes naturelles plus nombreuses, ce qui rendra la production agricole plus difficile à prévoir. Le recours à des environnements contrôlés pourrait être un moyen de réduire la vulnérabilité des chaînes alimentaires.
  • Les systèmes alimentaires reposent sur des chaînes d’approvisionnement complexes qui rendent les villes vulnérables. Ces fermes pourraient contribuer à rapprocher la production alimentaire de son lieu de consommation.

Pour ces raisons, il est important de ne pas balayer d’un revers de la main l’agriculture urbaine high tech, et son potentiel pour la sécurité alimentaire des villes.

Le contexte urbain dicte l’innovation

Si les agriculteurs utilisent depuis plusieurs décennies des serres, des tunnels ou des filets, l’agriculture en milieu fermé et contrôlé, est, elle, quelque chose de nouveau. Pour cela, les innovations sont sans doute encore à venir…, et il est très difficile aujourd’hui d’émettre un avis sur la pertinence de ce mode de culture dans le futur.

Ces fermes sont confrontées à de nombreux défis :

  • Premièrement, leur localisation en contexte urbain crée des contraintes très spécifiques. Par exemple, le foncier est cher. La R&D va donc chercher à augmenter la productivité, c’est-à-dire le rendement par unité spatiale, pour maximiser chaque mètre carré. Ces fermes cherchent également à s’installer dans des lieux non utilisés par la ville (toits, friches urbaines…). Le contexte urbain signifie également un coût de la vie plus cher, et donc des salaires plus importants. Certaines innovations vont alors chercher à augmenter l’automatisation pour minimiser les coûts de main d’œuvre. Par exemple, il existe des robots qui remplissent les godets de terre, ou qui récoltent des légumes feuillus, et la recherche s’oriente vers l’automatisation de tâches plus complexes comme la cueillette de fruits ou la taille. Les fermes peuvent également compenser le coût de la main d’œuvre en choisissant de produire des récoltes à haute valeur ajoutée (fruits rouges, plantes médicinales…).
  • Le second type de défis concerne le fort besoin en capital pour investir dans la création de ces fermes. En 2017, aux Etats-Unis, environ la moitié d’entre elles n’étaient pas rentables, et on estimait qu’il fallait environ 7 ans à une ferme de ce type pour le devenir. Cela plaide également pour la culture de productions à haute valeur ajoutée.
  • Troisième défi : des coûts d’exploitation importants. Ces fermes ont en effet besoin de beaucoup d’énergie. La recherche d’innovation va donc se tourner vers des stratégies pour réduire le coût énergétique. Cela peut prendre plusieurs formes : un éclairage plus efficace ou un accès à une énergie « gratuite » de type chaleur fatale (voir notre article Les déchets urbains, une ressource pour l’agriculture urbaine ?). D’une manière générale, tout ce qui peut réduire les coûts d’exploitation (capteurs, automatisation, analyse de données, et même intelligence artificielle) fait l’objet de recherches à l’heure actuelle.
  • Enfin, le dernier défi a trait à l’innovation agronomique. Agriculteurs et chercheurs travaillent ensemble depuis longtemps sur la culture en plein champs. La culture en intérieur étant jeune, la collaboration doit se consolider. Cultiver en environnement contrôlé a un impact sur le type de plante que l’on recherche : des caractéristiques comme la résistance à la sécheresse, aux gelées ou aux insectes sont moins utiles que le rendement sous éclairage de moindre intensité, un cycle de vie court ou la miniaturisation des plantes.

Un champ de questions que les villes peuvent aider à cultiver

Aujourd’hui, il est donc difficile de conclure de façon définitive quant au potentiel de ces fermes pour la sécurité alimentaire urbaine. La seule chose que nous savons, c’est qu’elles n’ont pas encore atteint leur plein potentiel.

Dans les années à venir, une des clés pour répondre à cette question seront les analyses de cycle de vie, qui permettront de documenter les impacts de ces fermes. En effet, où s’établira l’équilibre entre bénéfices et impacts environnementaux ? Côté bénéfices, ces fermes requièrent beaucoup moins d’eau que la culture en plein champs, et pourraient même réduire l’empreinte environnementale de l’eau qu’elles utilisent si elles réussissent à utiliser une autre eau que l’eau potable, traitée à grands frais. Mais, côté impact, elles nécessitent beaucoup plus d’énergie que les cultures en plein champ, bien qu’on puisse imaginer qu’elles utilisent, dans le futur, la chaleur fatale de la ville ou des énergies renouvelables.

Le futur devra sans doute trancher entre impacts environnementaux et disponibilité de l’alimentation. D’après Cathryn O’Sullivan, qui a co-écrit cet article dans Agricultural Systems, les villes devraient commencer à réfléchir à la manière dont ces fermes pourraient prendre place dans leur plans d’urbanisme, et comprendre les bénéfices et limites associés. En effet, ce qui fonctionnera pour New York, où les produits frais viennent de loin, ne sera pas forcément pertinent pour Sydney, qui dispose de fermes dans sa couronne péri-urbaine. Des architectures conviennent à l’hémisphère nord, où il faut protéger les récoltes du froid, d’autres à l’hémisphère sud (au Moyen-Orient, par exemple, c’est rafraichir les récoltes qui est une nécessité). Les villes doivent se préparer dès maintenant pour s’assurer qu’elles ont toute l’information nécessaire le jour où elles devront prendre une décision sur l’implantation ou non de ces fermes.

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