Les politiques ont tendance à chercher à protéger la terre, alors qu’elles devraient en premier lieu chercher à protéger l’activité agricole.
Les perceptions d’injustice jouent un rôle clé dans l’élaboration de ces politiques et leur efficacité.
Quel que soit l’outil utilisé, envoyer un signal de protection de ces terres sur le long terme est clé
Les terres agricoles péri-urbaines sont sous pression constante à cause de l’urbanisation. Et elles disparaissent à un rythme inquiétant (voir notre article précédent pour des estimations mondiales). Que faudrait-il pour les protéger ? Et que pouvons-nous apprendre des pays qui ont mis en place des politiques pour le faire ?
Dans une revue de littérature publiée dans Land, des chercheurs de l’INRAE (France) analysent en détail les facteurs de succès et d’échec des politiques de protection de la terre agricole dans les pays développés.
La protection des terres agricoles doit protéger … l’agriculture
Leur première conclusion est une surprise : « les systèmes agricoles tendent à être négligés par les politiques de protection des terres agricoles, qui se focalisent sur la terre plus que sur l’agriculture ». En d’autres mots, les politiques ont tendance à chercher à protéger la terre, alors qu’elles devraient en premier lieu chercher à protéger l’activité agricole, la terre n’étant qu’un moyen en vue d’une fin.
Ainsi, ces politiques peuvent passer à côté de questions cruciales pour la protection de l’agriculture. Par exemple :
- Elles tendent à oublier l’importance de préserver un volume critique de terres agricoles continues. Or, si les terres préservées sont éparpillées, leur culture a plus de risque d’être abandonnée, car il est plus difficile de les travailler.
- Elles peinent à donner une visibilité de long terme aux agriculteurs. Cela a des conséquences sur les stratégies de ces derniers. De fait, les investissements de long terme sont plus difficiles à faire dans un contexte réglementaire imprévisible. Par exemple, les propriétaires fonciers peuvent réduire la durée de leurs baux pour être sûrs de ne pas rater une opportunité de développement.
- Elles prennent rarement le temps de comprendre le contexte social et les intérêts des acteurs locaux. Or, la protection des terres agricoles peut aboutir à des résultats très différents selon le contexte. Par exemple, elle n’a pas empêché un certain abandon de l’activité agricole autour de Florence (Italie), où des oliviers ont été entretenus pour des raisons esthétiques plus que productives. A l’opposé, à la même période, à Barcelone (Espagne), elle a permis de protéger une riche économie agricole qui contribue à nourrir la ville.
Par conséquent, d’après Coline Perrin, co-auteure de l’article, protéger la terre agricole est nécessaire, mais pas suffisant. Les politiques devraient regarder plus en détail le contexte social et agricole dans lesquelles elles opèrent. Le risque, sinon, est de ne pas réussir à enrayer l’étalement urbain.
Protéger les terres agricoles : pour quoi et pour qui ?
Pourquoi les politiques de protection des terres agricoles ratent-elles leur cible ? Cela peut s’expliquer par de nombreux facteurs, et notamment le manque de connaissances en agriculture des équipes en charge de l’aménagement du territoire. Les chercheurs mettent également en avant une autre raison, plus subtile, qui a trait à l’identité des acteurs qui demandent la protection de ces terres.
En effet, les coalitions pour la protection des terres agricoles rassemblent des acteurs qui ont des objectifs très différents. A savoir :
- L’autonomie alimentaire, c’est-à-dire la préservation des terres pour produire des denrées alimentaires ;
- Le développement économique, c’est-à-dire préserver la contribution à l’économie d’un secteur agricole fort ;
- La préservation du paysage et de l’environnement, à savoir empêcher les dégâts environnementaux de l’urbanisation, ou, simplement, protéger le paysage pour ses vertus esthétiques ou récréationnelles ;
- La gestion de l’étalement urbain, c’est-à-dire organiser la croissance de la ville.
En d’autres termes, la protection des terres agricoles peut être un moyen visant des fins très différentes. Des chercheurs ont ainsi montré qu’en Amérique du Nord, les coalitions formées pour la protection des terres agricoles étaient principalement constituées d’acteurs dont les intérêts n’étaient pas liés à l’agriculture.
Quand les planificateurs deviennent des médiateurs
Ces objectifs différents peuvent-ils converger ? Et comment peuvent-ils, collectivement, faire face aux pressions de l’urbanisation ? Ici, les processus participatifs jouent un rôle clé pour expliciter les valeurs et reformuler les objectifs afin qu’ils aient du sens pour les acteurs locaux. Les planificateurs doivent ainsi devenir des médiateurs entre les intérêts locaux.
Dans ce processus de médiation, les auteurs insistent sur le fait que « les perceptions d’injustice jouent un rôle clé ». De nombreux acteurs peuvent en effet se sentir exclus, ce qui augmente la probabilité qu’ils cherchent à détourner les règles. Par exemple, des propriétaires fonciers peuvent considérer qu’ils n’ont pas été justement compensés pour la perte de valeur de leur terre, ou des habitants incommodés par les activités agricoles peuvent ressentir que leurs intérêts passent au second plan (sur cette question de la justice, voir l’autre article publié par la même équipe de recherche).
Ces processus doivent porter une attention particulière aux agriculteurs, qui n’ont souvent pas le temps de participer à des réunions de participations traditionnelles. Les planificateurs doivent par exemple faire attention à ne pas considérer les agriculteurs comme une entité monolithique. En effet, ces derniers peuvent voir le développement sur leur terre de façon différente en fonction de leur activité (pâturage, horticulture…), leur âge, leur statut d’occupation (propriétaire, locataire…), leur trajectoire d’arrivée dans l’agriculture… Par exemple, pour certaines activités, il est nécessaire de construire des locaux, et ce besoin doit être pris en compte.
Quels outils de politique publique utiliser ?
Protéger l’agriculture tout en assurant une médiation entre des intérêts divergents… voici le cahier des charges, ardu, de la protection des terres agricoles.
De quels instruments disposons-nous pour le faire ? Il en existe une grande variété, depuis des outils réglementaires (zonage), des incitations et des accords volontaires, et des instruments de marché. Le zonage est très communément employé. Les instruments basés sur des mécanismes de marché sont nés dans les pays anglos-saxons. Les accords volontaires incluent, par exemple, les servitudes environnementales, par lesquelles les propriétaires signent un contrat avec une entité publique et s’engagent à restreindre certains usages. Les instruments de marché incluent les droits d’aménagement transférables, par lesquels les propriétaires vendent ces droits à des promoteurs qui les utiliseront sur des parcelles urbanisables.
Chaque instrument a ses avantages et ses inconvénients. Par exemple, le zonage a été une politique historiquement assez instable. Les outils basés sur le marché, de leur côté, peuvent générer beaucoup de paperasse.
Quelle est leur efficacité ? Coline Perrin souligne que la littérature scientifique ne permet pas de conclure sur ce point. En effet, les mérites comparatifs de ces instruments dépendent du contexte dans lequel ils sont appliqués. Cependant, l’efficacité s’obtient très certainement en combinant des instruments (par exemple, des transferts de droits d’aménagement peuvent être combinés avec une politique régionale de zonage plus complète).
Quel que soit l’instrument utilisé, cependant, il est crucial que les acteurs locaux croient en sa stabilité. Envoyer un signal de protection sur le long terme est clé. La politique de protection du Cœur Vert en Hollande en est un bon exemple. C’est un défi de taille pour de nombreuses villes, mais une condition pour préserver une économie agricole nécessaire à leurs portes.
Albane GASPARD
Janvier 2021
Urban Food Futures remercie Coline Perrin, Camille Clément, Romain Melot and Brigitte Nougarèdes pour leur relecture et conseils.
Voir également :
Perrin C., Nougarèdes B. Le foncier agricole dans une société urbaine : innovations et enjeux de justice. Cardère éd. 360 p.
Cette publication fait partie des résultats du projet JASMINN, qui a aussi donné lieu au développement d’un jeu de rôle
Crédits photo: Pixabay
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