Durabilité des circuits courts : ce que l’on (ne) sait (pas)

La diversité des initiatives empêche de répondre par « oui » ou « non » à la question « les circuits courts sont-ils durables ? ».

La participation à des circuits courts ne mène à une amélioration du revenu du producteur que sous certaines conditions.

Ces circuits sont un moyen intéressant de préserver la biodiversité et d’accélérer la transition d’exploitation vers des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement.

Les circuits courts occupent une place centrale dans l’imaginaire collectif des militants de l’alimentation durable (voir notre article précédent Comment vos parties prenantes voient-elles l’avenir de l’alimentation ?), et les soutenir est un axe clé dans de nombreuses politiques alimentaires locales. Cependant, que sait-on exactement sur leurs impacts réels ? Dans un article publié dans Sustainability, Yuna Chiffoleau et Tara Dourian (INRAE) montrent qu’en dépit de la forte présence de ces circuits dans les discours, il reste encore beaucoup à apprendre sur leurs impacts réels.

Lignes floues

Le premier obstacle auquel les chercheurs sont confrontés lorsqu’ils souhaitent analyser les impacts des circuits courts est la difficulté à les définir. Les auteurs de l’article rappellent en effet qu’il n’y a pas de définition unique ou officielle, qui aiderait à clarifier leur objet de recherche.

Les circuits courts recouvrent ainsi une grande variété d’initiatives. Elles ont en commun un nombre d’intermédiaires limités entre producteurs et consommateurs. Mais à part cela, elles prennent des formes variées, depuis la vente à la ferme aux marchés de producteurs, des magasins de producteurs aux paniers, des initiatives portées par des citoyens (comme les AMAP) à celles portées par des institutions (approvisionnement de cantines) ou des supermarchés. De quoi complexifier la tâche des chercheurs souhaitant comparer leurs impacts.

De plus, il peut être difficile de comparer les impacts d’une même initiative dans des contextes différents. Par exemple, la création d’un marché de producteurs de plein vent dans un pays (comme les Etats-Unis) où la tradition n’existe pas n’aura pas les mêmes conséquences pour le territoire que dans des pays Européens (comme la France ou l’Espagne) où ces marchés existent de longue date.

Enfin, définir ce qu’on entend par « local » est particulièrement difficile. La géographie n’est qu’une des dimensions à prendre en compte. La proximité sociale ou relationnelle peut aussi forger des circuits courts (voir notre article précédent Définir l’alimentation locale : la quête continue).

En résumé, la diversité des initiatives empêche de répondre simplement par « oui » ou « non » à la question « les circuits courts sont-ils durables ? ».

La durabilité est multidimensionnelle, les impacts des circuits courts aussi

Au cours de la dernière décennie, la recherche sur les circuits courts s’est développée, en particulier en Europe et en Amérique du Nord. Cependant, Yuna Chiffoleau souligne à quel point les résultats de recherche restent clairsemés. En effet, elles tendent à se focaliser sur des cas d’études et sur l’analyse des initiatives les plus militantes. Il manque encore des enquêtes de grande ampleur, des méta-analyses, ou des cas d’étude d’initiatives plus traditionnelles ou moins visibles (comme le jardinage en Europe de l’Est – voir notre article Au jardin : production locale, réseaux informels et résilience).

L’impact des circuits courts peut s’analyser sous plusieurs facettes : économiques, environnementales, sociales, santé/nutrition et gouvernance. Que dit la littérature sur ces impacts ? En résumé, « les publications analysées (…) s’accordent généralement sur les bénéfices sociaux des circuits courts alimentaires, alors que leurs impacts économiques et sociaux sont plus contrastés et que leurs dimensions santé/nutrition et gouvernance restent largement inexplorées ».

Les bénéfices sociaux sont ainsi ceux qui font l’objet de moins de débat parmi les scientifiques. Cependant, pour obtenir une image plus complète de leur contribution au tissu social, la recherche devrait s’ouvrir à l’analyse d’initiatives autres que les plus récentes et les plus militantes.

Les circuits courts offrent-ils un prix juste aux producteurs ?

La recherche s’est intéressée aux impacts économiques de ces circuits. Les attentes vis-à-vis de ces derniers sont : la réduction des incertitudes économiques pour les producteurs, l’augmentation de leur revenu, la création d’emploi et la contribution à l’économie locale.

Parmi tous les bénéfices potentiels des circuits courts, celui concernant la possibilité pour les producteurs de vivre mieux de leur travail que dans les circuits longs est central. C’est une des raisons pour lesquelles les producteurs s’engagent dans ces circuits. Que dit la littérature scientifique à ce sujet ?

Pour commencer, il s’agit d’un point très délicat à étudier, car beaucoup d’exploitations de petite taille n’utilisent pas un système comptable permettant de tracer l’impact de la bascule vers un nouveau système de distribution.

Cependant, des enquêtes européennes et nord-américaines montrent que la participation à des circuits courts ne mène pas toujours à une amélioration du revenu du producteur. Pour que ce soit le cas, certaines conditions doivent être réunies :

  • Sur la ferme elle-même : la formation, les compétences de l’agriculteur, et notamment sa capacité à organiser de concert production et distribution sont clés pour éviter la fatigue, en particulier dans les premières années de lancement de l’exploitation. Le fait d’être en agriculture biologique est également corrélé positivement au revenu.
  • Le territoire ou les caractéristiques du circuit de distribution lui-même joue un rôle majeur. Il s’agit par exemple du degré de concurrence locale, du taux de marge alloué à l’intermédiaire ou la présence de capacités de transformation facilement accessible. La capacité des producteurs à s’organiser pour agir collectivement (par exemple dans des magasins de producteurs) aide également à améliorer leur revenu.

Pas de baguette magique environnementale

Une autre attente forte vis-à-vis des circuits courts concerne leurs impacts environnementaux. Le local est-il meilleur pour l’environnement ? Sur ce point, la recherche commence à fournir des réponses. La méthode la plus couramment utilisée est l’Analyse de Cycle de Vie (ACV), qui permet de documenter l’ensemble des dimensions environnementales. Cependant, Yuna Chiffoleau rappelle que cette approche présente des limites pour l’analyse des circuits courts. En effet, elle a été conçue pour optimiser des chaines longues et les spécificités des circuits courts soulèvent des questions. Par exemple, documenter l’impact d’une tomate distribuée par une chaine longue et spécialisée est assez simple, car tous les impacts des activités le long de la chaine peuvent être attribués à la tomate. Mais comment calculer les impacts d’une tomate intégrée à un panier hebdomadaire ? Quelle portion de l’énergie consommée par la ferme est attribuable à la tomate ? Ou à la salade vendue dans le même panier ?

L’impact du transport a été un sujet largement débattu par le passé, avec des résultats montrant que le transport de grandes quantités depuis des contrées lointaines peut être mieux noté sur le plan des émissions GES que des petites quantités transportées de manière peu efficaces (voir notre article précédent Travailler avec les circuits courts, mais pas seulement !).

Le transport n’est cependant qu’une fraction de l’impact environnemental de la nourriture. Les impacts environnementaux des circuits courts dépendent surtout des méthodes agricoles qu’ils utilisent. La littérature montre que les producteurs impliqués dans les circuits courts tendent à être déjà engagés dans des pratiques agricoles moins impactantes. Pour eux, donc, les circuits courts n’augmenteront pas les bénéfices environnementaux, mais ils contribuent à préserver l’activité de ces agriculteurs et les bénéfices en terme d’agrobiodiversité (préservation des terres agricoles ou de variétés paysannes / locales).

La recherche montre aussi que s’engager dans un circuit court peut accélérer la transition d’une exploitation vers des pratiques plus durables. Cela s’explique par plusieurs facteurs : la pression des consommateurs, l’opportunité d’échanger plus avec des pairs, et, très important, le fait que les circuits courts protègent de la volatilité des cours, fournissent un apport régulier de trésorerie, et permettent ainsi d’aborder plus sereinement une transition dans ses pratiques agricoles. Cela dépend cependant de la chaine considérée : par exemple, la vente directe à la grande distribution peut s’avérer contreproductive quand celle-ci n’accepte pas des fruits et légumes « moches », sortant des calibres habituels.

Les circuits courts sont ainsi un moyen intéressant de préserver la biodiversité et d’accélérer la transition d’exploitation vers des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement.

Ce qu’on ne sait pas

Ce qui interpelle, à la lecture des résultats scientifiques actuel, c’est qu’il est encore impossible de répondre à des questions importantes. Par exemple : quelle est la contribution actuelle des circuits courts à la transition des systèmes alimentaires ? Des analyses sur longue période avec des producteurs, des transformateurs et des consommateurs qui sont entrés récemment dans ces circuits sont nécessaires pour mettre en lumière des changements potentiels dans leurs pratiques ou le fait que les changements induits par la participation à des circuits courts se répercutent sur les circuits longs (la plupart des acteurs combinant les deux).

D’autres questions se posent encore : par exemple, dans le contexte de la crise du Covid, dans quelle mesure ces circuits contribuent-ils à la résilience du système alimentaire ? Comment circuits courts et longs pourraient-ils être complémentaires ? Et, pour les agriculteurs, quel est le meilleur équilibre entre circuits courts et longs pour une taille d’exploitation donnée ? Etc.

Nous espérons que la recherche pourra nous éclairer sur ces aspects dans les années à venir.

Activer le levier de transition que sont les circuits courts

Même si la recherche reste éparse sur certains sujets, elle permet d’identifier des facteurs contribuant à la durabilité des circuits courts.

De façon intéressante, nombreux d’entre eux sont des actions que les collectivités locales peuvent intégrer dans leurs politiques alimentaires. Yuna Chiffoleau en souligne certaines :

  • Rendre le foncier accessible. En France, par exemple, la terre est le principal obstacle au développement de exploitations de petite taille en circuits courts.
  • Analyser le territoire pour voir s’il constitue un « terreau favorable » au développement de tels circuits. Les consommateurs potentiels sont-ils là ? Les capacités de transformation existent-elles ? Et si non, la collectivité locale doit-elle aider à en créer (voir notre article La transformation alimentaire, maillon manquant des politiques alimentaires locales) ?
  • Ouvrir des opportunités de vente directe (stands sur les marchés en plein air, lieux de stockage…)

Dans l’ensemble, les circuits courts ne sont sans doute pas la formule magique pour un système alimentaire plus durable, mais ils sont définitivement un des leviers les plus efficaces.

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Définir l’alimentation locale : la quête continue

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