Pour réussir le tri des déchets, les villes doivent prendre le temps de comprendre les déterminants et les contraintes spécifiques des publics auxquelles elles s’adressent.
L’infrastructure doit rendre le tri des déchets facile.
Une fois l’infrastructure physique de tri en place, les villes peuvent actionner une grande variété de leviers à l’échelle individuelle ou du quartier.
Lorsque les habitants des villes s’alimentent, ils produisent des déchets. La ré-utilisation, le recyclage et le compostage de ces derniers, qui proviennent de la nourriture elle-même (restes, épluchures…) ou des emballages, est centrale pour la réduction de l’empreinte environnementale des systèmes alimentaires urbains. Le tri des déchets est donc au cœur de leur gestion durable. Or, il n’est pas encore mise en œuvre partout. Comment amener les habitants des villes à mieux séparer leurs déchets pour que ceux-ci soient gérés correctement ?
Une revue de littérature publiée dans le Journal of Cleaner Production plonge dans les nombreux facteurs sociaux qui contribuent la réussite de la gestion des déchets dans les aires urbaines. Elle fournit un guide utile à toute ville souhaitant améliorer ses pratiques.
Leçon 1 : étudiez votre contexte
On pourrait attendre de la littérature scientifique qu’elle donne une image précise de quels leviers sociaux, psychologiques, économiques ou politiques actionner pour améliorer la séparation des déchets. Or, de façon intéressante, la première chose qu’elle montre est que l’efficacité des leviers d’action dépend du contexte et de la réalité des gens auxquels vous vous adressez. Il est donc rentable d’investir dans l’étude de votre contexte, car la théorie scientifique peut vous donner des premières idées d’action, mais ces dernières doivent être adaptées à la réalité de vos groupes cibles. En particulier :
- Tout le monde n’a pas la même attitude vis-à-vis du tri, ni la même capacité à le faire. Le tri est une habitude qui vient avec le temps : les gens commencent par ne pas être conscients de la nécessité de trier, puis ils en prennent conscience mais ne se sentent pas compétents pour le faire, puis ils deviennent plus confiants dans leurs capacités, jusqu’à ce qu’ils le fassent sans y penser. Dans une même ville peuvent se côtoyer des gens aux différentes étapes de ce cycle. Des « recycleurs habituels » peuvent être voisins de « non recycleurs », d’« anciens recycleurs » ou de « nouveaux recycleurs ». Par ailleurs, tous les groupes sociaux-économiques n’ont pas la même capacité à recycler : certains ont moins de temps ou des besoins plus pressants qui les accaparent. Ces différents ménages ont besoin d’être gérés de manière différente par les politiques publiques. Les typologies existantes développées par les chercheurs sont un outil utile pour intégrer la diversité des gens dans les politiques publiques et s’assurer que les spécificités de chacun sont prises en compte.
- Chaque contexte ouvre des opportunités et des défis spécifiques pour le tri des déchets. Les villes, par exemple, ajoutent un défi supplémentaire. En effet, leurs habitants ont tendance à avoir des modes de vie chargés ou à changer fréquemment de lieu d’habitation pour leurs études ou leur travail. Comment s’assurer que les gens prendront le temps de consulter les consignes de tri s’ils ne sont là que pour 6 mois ? Les villes denses soulèvent également la question de l’espace disponible pour stocker les déchets à recycler (dans des petites cuisines, par exemple).
La première conclusion de cette revue de littérature est donc que les villes devraient prendre le temps de comprendre les déterminants et les barrières au tri dans les zones spécifiques sur lesquelles elles souhaitent agir. Comme le fait remarquer Doris Knickmeyer, qui a réalisé la revue à l’Institut de Ciència i Tecnologia Ambientals (ICTA) de Barcelone (Espagne), « la recherche préliminaire est la vraie bonne pratique ». Cela peut nécessiter de mener des études spécifiques, car les statistiques officielles sont parfois datées.
Leçon n°2 : assurez-vous que l’infrastructure de tri est en place
La deuxième recommandation qui émerge de la revue de littérature est de s’assurer que l’infrastructure de recyclage est en place et adaptée aux besoins des habitants.
Ici, le mot clé est la commodité : il faut que recycler soit facile à faire. En effet, la recherche montre que toute stratégie permettant de réduire l’effort nécessaire pour trier ses déchets est la bienvenue. Les poubelles doivent être disponibles et faciles d’accès. Elles doivent être propres (et le rester), et indiquées clairement. Autre exemple ? En Suède, des ménages ont reçu des poubelles dédiées aux déchets organiques qu’ils pouvaient suspendre à l’intérieur des meubles de leurs petites cuisines. Une autre piste de travail est la collaboration avec les propriétaires et les architectes, et l’adoption de règles d’urbanisme claires qui permettent d’assurer que la place nécessaire à la gestion des déchets dans les bâtiments neufs est disponible. La conception de l’infrastructure joue un rôle central. En effet, ce qui a surpris Doris Knickmeyer lorsqu’elle s’est penchée sur la littérature est à quel point des petits détails de design, comme la forme d’un trou dans un container ou sa couleur, ont une influence.
Là encore, l’infrastructure finale que vous développerez dépendra des résultats de vos études préliminaires. Par exemple, des sites d’apport des déchets ou une collecte en porte-à-porte sont deux options possibles : pour savoir laquelle choisir, il faudra connaitre votre public.
Leçon n°3 : activez les leviers sociaux
L’infrastructure de tri ne fait pas tout cependant. A Hong Kong, par exemple, la fourniture d’espaces de stockage des déchets avait été rendue obligatoire pour chaque étage des bâtiments neufs, mais non accompagnée d’une campagne d’information pour que les résidents s’en emparent.
Quels sont les leviers sociaux qui peuvent être activés aux côtés de la fourniture d’infrastructure ? Ils sont nombreux, et là encore, le choix final dépendra des spécificités de votre public.
- Premièrement, vous pouvez essayer de modifier l’attitude individuelle des gens, en leur adressant des messages qui montrent comment le tri s’inscrit dans leurs attitudes préexistantes. Les personnes qui déclarent être soucieuses de la préservation de l’environnement sont plus enclines à recycler : souligner les bénéfices environnementaux du tri sera sans doute efficace avec elles. Pour d’autres, ce seront des considérations morales (recycler comme un devoir civique) qui fonctionneront.
- Vous aurez sans doute à argumenter contre des idées préconçues qui peuvent faire voir le tri sous un mauvais jour. Par exemple, les gens peuvent être réticents à séparer leurs déchets organiques car ils pensent qu’ils vont sentir mauvais, ou que les déchets sont ensuite tous remis au même endroit, ayant vu une seule benne ramasser plusieurs types de déchets. Il faudra alors démontrer que les déchets alimentaires n’attirent pas les mouches s’ils sont bien gérés, ou donner à voir ce qu’il arrive réellement aux déchets une fois collectés. Pourquoi ne pas ouvrir un bar dans une usine de traitement de déchets, comme au Japon ? Ou simplement organiser des visites de sites de gestion ?
- Il vous faudra répondre aux questions très spécifiques et concrètes que les gens ont. D’une manière générale, essayez d’être aussi précis que possible dans votre communication. Les nouveaux arrivants en ville auront sans doute besoin d’une attention particulière, surtout s’ils sont habitués à des consignes de tri sont différentes. Par exemple, il pourrait être intéressant de fournir quand ils arrivent aux locataires (y compris pour des baux de courte durée ou des locations touristiques), une information claire sur le système de tri.
Il y a de nombreux leviers à activer également à l’échelle des quartiers. Là, l’enjeu est de jouer sur les normes sociales, pour faire du tri la nouvelle normalité. La pression sociale peut jouer un rôle important dans les premiers temps de la mise en place d’un système de tri. Cela peut aussi passer par le fait de rendre les sites d’apport des déchets bien visibles, ou de communiquer sur les taux de recyclages dans le quartier.
En somme, si vous connaissez les gens pour lesquels vous travaillez, leurs attitudes et leurs contraintes, il y aura toujours un levier d’action que vous pourrez actionner pour motiver les habitants à participer à un système alimentaire plus circulaire !
Albane GASPARD
Juillet 2021
Urban Food Futures remercie Doris Knickmeyer pour sa relecture et ses conseils
Crédits photo : Photo by Maria Teneva on Unsplash
Aller plus loin
Inscrivez-vous !
Découvrez notre newsletter
Lire plus
Consultez nos derniers articles
Explorez !
Nos recueils annuels d'articles