Quel usage de la prospective dans les politiques alimentaires locales ?

  • La prospective permet de faire prendre conscience de l’ensemble des enjeux (techniques, politiques, économiques, sociaux ou environnementaux) et de leur évolution possible
  • En faisant faire aux acteurs un détour par le futur, elle permet une discussion plus sereine
  • Elle est complémentaire aux démarches d’élaboration de plans d’action

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Comment anticiper au mieux les évolutions de l’agriculture dans nos territoires ? Et comment agir pour que le futur soit celui qu’on souhaite voir advenir ? Voilà deux questions au cœur de la transition alimentaire qui appellent à des démarches prospectives.

Suivons la démarche mise en œuvre dans le Sud de la France, en Occitanie, par 3 villes qui ont réfléchi à la place de l’agriculture sur leur territoire à 2035. Elle nous permettra de mieux comprendre comment la prospective peut contribuer aux politiques alimentaires locales.

Prendre en compte toutes les dimensions d’une question

La démarche prospective a été lancée en 2016 par la DRAAF Occitanie, avec trois villes moyennes de la région : Albi, Rodez et Montauban. Il s’agit de territoires où l’agriculture joue un rôle économique important, mais qui sont confrontés à de nombreux défis : concentration de l’activité agricole, vieillissement de la population d’agriculteurs, dépendance à l’irrigation… et, pour certaines d’entre eux, proximité des métropoles régionales impliquant une forte tension sur le foncier.

La démarche a associé des représentants des collectivités, du monde agricole, des associations, de l’enseignement et de l’Etat. Un premier atelier a été l’occasion de lister collectivement les facteurs pouvant avoir un impact sur l’agriculture sur le territoire à 2035. 22 variables ont été identifiées. Par exemple, le territoire de Rodez a fait émerger 8 grandes familles de variables (foncier et transmission, installation et conditions de travail des agriculteurs, filières/traçabilité/qualité, image de l’agriculture et modes de consommation, relations internationales et politiques agricoles, environnement et changement climatique, innovation, tourisme et relation villes/campagnes).

Cet exercice peut sembler fastidieux, mais il permet de faire prendre conscience de l’ensemble des enjeux, que ceux-ci soient techniques, politiques, économiques, sociaux ou environnementaux. En effet, chaque acteur peut voir une partie de la question, mais le fait de les formuler collectivement permet à chacun d’étoffer sa compréhension des enjeux.

Ce que nous pouvons faire, ce à quoi nous devrons nous adapter

Une fois les données du problème posées, un deuxième atelier a permis aux participants de formuler des hypothèses d’évolution pour chacune des variables identifiées. Par exemple, sur la thématique de l’installation des agriculteurs, les hypothèses allaient d’un mouvement d’installation de la part de néo-ruraux à un manque de vocations ne permettant pas la reprise de toutes les exploitations.

Puis, lors d’un troisième atelier, les participants ont été amenés à construire des scénarios en choisissant une articulation plausible d’hypothèses sur toutes les variables.

Les scénarios jouent un rôle central dans la démarche prospective. Il peut s’agir de scénarios :

  • Souhaitables et probables, à encourager ;
  • Souhaitables et peu probables, qui demandent donc une forte mobilisation ;
  • Non souhaitables mais probables, qui appellent des actions pour les éviter ou les atténuer ;
  • Non souhaitables mais peu probables, à surveiller.

A titre d’exemple, un premier scénario commun aux 3 territoires était axé sur l’agro-business, avec une robotisation de l’agriculture, dans un système alimentaire mondialisé où seules les exploitations les plus compétitives pourraient survivre. L’activité agricole serait pilotée par l’aval de la filière (la distribution et la transformation). Dans ces conditions, les territoires devraient se spécialiser dans les secteurs les plus productifs. Difficile d’imaginer des liens harmonieux entre la ville et une agriculture considérée comme une activité industrielle. L’agriculture périurbaine serait alors cantonnée à des lieux fermés, difficiles d’accès aux habitants.

A l’opposé, un autre scénario fait l’hypothèse que la pression des consommateurs pour une alimentation plus locale pousse les élus à favoriser la montée en puissance du tissu local d’entreprises de transformation et la valorisation de la qualité environnementale des produits. L’agriculture serait alors mieux intégrée à la ville, mais des questions se poseraient sur l’accès à tous à cette alimentation de qualité, potentiellement plus chère.

Au final, l’analyse croisée des scénarios a permis aux participants de faire ressortir les quelques actions clés à mener en priorité : l’appui à l’installation, la maîtrise du foncier agricole, l’adaptation au changement climatique et la gestion partenariale de la ressource en eau.

Une démarche participative

Les bénéfices d’une telle démarche prospective sont tout d’abord à chercher du côté de sa dimension participative. En rassemblant des acteurs qui se côtoient peu, elle leur permet de mieux se connaître, et donc de mieux se comprendre. Ainsi, par exemple, les acteurs des collectivités peuvent faire connaissance avec des grossistes qui ont déjà des action d’approvisionnement local, ce qui peut modifier leur façon d’appréhender les enjeux liés aux circuits courts et à l’alimentation locale. Toute opportunité de mieux connaître la réalité économique des filières est bonne à prendre !

Comme toute démarche participative, elle se heurte à des défis de mobilisation des acteurs. Pour les acteurs de la grande distribution, par exemple, difficile de voir des débouchés concrets, et donc un intérêt direct, à la participation. De la même manière, si la démarche joue le rôle de catalyseur pour les participants à la démarche, il peut être difficile de faire percoler l’élan auprès de ceux qui n’y ont pas pris part, et notamment des élus qui n’ont pas eu le temps de participer aux ateliers. Il faut également faire attention à ce que le soufflé ne retombe pas par manque d’animation une fois les scénarios produits.

La prospective au service des politiques alimentaires locales

Au-delà de la dimension participative, l’apport central de la démarche est de permettre le dialogue via la projection dans le futur. En faisant faire aux acteurs un détour par le futur, la prospective permet une discussion plus sereine. En l’absence d’enjeu direct, les participant sont plus enclins à discuter. En déplaçant la discussion sur ce qui pourrait arriver, et non sur ce qui se passe actuellement, elle permet d’explorer des hypothèses en rupture par rapport à ce que certains défendent dans le présent.

Au final, ce que Julie Seegers, qui a mené la démarche pour le compte de la DRAAF au sein du Cabinet Blezat Consulting, retient de cette expérience, c’est à quel point elle a donné envie d’agir aux participants. Ou quand l’anticipation rend possible l’action…


Albane GASPARD – Janvier 2019

Urban Food Futures remercie Julie Seegers pour sa relecture et ses conseils

Source : L’agriculture dans les aires urbaines moyennes d’Occitanie à l’horizon 2035 : une réflexion prospective

Crédits photo : Javier Allegue Barros on Unsplash, Icones : The Noun Project

 

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